Un pain frais, savoureux, croustillant et à un prix acceptable, beaucoup l’ont appelé de leurs vœux. Les quatre néo-artisans du Pain Levé l’ont fait. Avec succès. Leur boulangerie autogérée, installée au cœur d’un quartier historique et multiculturel de Schaerbeek, séduit les riverains tant par la qualité de ses pains et de ses sucreries que par un système de tarification aussi original qu’éthique.
Au départ, Léa Smeesters, Louise Jottrand, Colin Lebrun et Sylvain Launoy ne se connaissaient pas. Mais un intérêt commun pour le pain, un esprit militant partagé et des préoccupations semblables ont rapproché cet économiste de formation titulaire de l’accès à la profession de boulanger, cet ingénieur industriel déçu pas sa spécialisation en construction, cette ex-étudiante en sociologie et cet agronome disposant à la fois d’une expérience dans l’agroalimentaire et d’un passé de coach au Credal.
Suite du texte en dessous de l'image (copyright Didier Bauweraerts)
« Nous avons deux priorités, détaille Sylvain Launoy. D’une part, nous veillons à ce que nos pains soient bons et que les matières premières soient de qualité, locales, bio et respectent les artisans. D’autre part, nous tenons à ce que notre pain soit accessible à tout le monde, même lorsque les fins de mois sont difficiles. En effet, dans un budget, l’alimentation est la principale variable d’ajustement en cas de coup dur. Nous savons que les artisans et producteurs sont nombreux à essayer de fixer des prix justes pour eux et pour le plus grand nombre de clients possible, et que c’est très difficile. Nous désirons proposer autre chose. » Concrètement, ce n’est pas un prix mais trois qui sont affichés pour les pains et sucreries du Pain Levé. À chacun de choisir le tarif qui convient le mieux à sa situation financière et à son degré d’engagement social.
De la théorie à la pratique
Le désir était donc là, tout comme les convictions sociétales. Pendant près d’un an, les quatre amoureux du pain et de l’équité se sont confrontés au marché et au métier, une étape indispensable. Sylvain Launoy: « On a commencé à faire du pain pour les amis, la famille et quelques premiers clients, histoire de vérifier si nos recettes fonctionnaient. Pendant le confinement, tout le monde a essayé de faire un ou deux pains. En produire 50 ou 100, c’est tout autre chose ! Mais nous étions motivés et nous avons pu constater que cela marchait. » Encore fallait-il un déclencheur pour les inciter à passer à la vitesse supérieure. Ce fut un appel à projet en économie sociale. Il leur faudra encore une petite année pour mettre leur projet en œuvre, procéder à une étude de marché, élaborer un plan financier qui évoluera au fil du temps et des événements, rechercher un local, adapter leur modèle afin de passer à une production quasi-quotidienne, se confronter aux contraintes administratives souvent complexes et surmonter des surprises pas toujours agréables.
« Il y a inévitablement une certaine marge entre le projet et sa concrétisation, commente Sylvain Launoy. Nous avons consacré beaucoup d’énergie à résoudre des problèmes en matière d’électricité et d’urbanisme. Nous avons dû changer certains de nos plans face à l’impossibilité d’utiliser un four à bois dans le quartier Josaphat à Schaerbeek où nous étions en train de nous installer, et nous résigner à changer de type de four parce qu’on ne pouvait plus attendre. Donc, oui, nous avons été confrontés à des imprévus mais cela aurait pu être pire. Nous avons un chouette propriétaire, un chouette local et des clients bien présents. »
Une insertion réussie
Le Pain Levé a officiellement ouvert ses portes mi-décembre 2020 juste avant les fêtes. Dans ce quartier dépourvu de boulangeries artisanales traditionnelles, l’engouement a été tel qu’il a provoqué quelques files. Elles sont aujourd’hui résorbées mais restent bien présentes dans l’esprit des riverains. Ouverte d’abord trois jours par semaine, la boulangerie accueille désormais ses clients quatre jours par semaine de 16 à 19h, avec l’espoir de pouvoir rapidement étendre encore ces horaires d’ouverture lorsque certaines difficultés techniques seront résolues. « Dans notre voisinage, la population est très diversifiée et nous nous situons à la frontière de plusieurs types de quartier, détaille Sylvain Launoy. Notre objectif n’était ni de remplacer ce qui existait déjà avant notre arrivée mais bien de proposer une gamme totalement originale, ni d’imposer un concept «bobo» mais plutôt de réussir à nous insérer dans le quartier, à faire en sorte que chacun se sente accueilli. Nous n’avons pas encore beaucoup de recul mais nous sommes déjà très contents du retour des clients, du type de personnes qui franchissent la porte et de la manière dont les prix sont choisis. En ouvrant un peu plus longuement, nous pourrons encore élargir notre clientèle. »
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Un choix politique et original
La boulangerie fonctionne en autogestion. « Pour moi, il s’agit vraiment d’un projet dans le projet, et ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de patron que c’est l’anarchie, précise Sylvain Launoy. Nous avons opté pour un modèle comparable à celui des maisons médicales. » En matière de statut, le quatuor a décidé d’adopter un modèle original et militant car les entrepreneurs salariés sont encore peu répandus chez nous. « Nous avons songé à passer par une couveuse de startups ou à adopter le statut d’indépendant, mais je pense que dans le contexte actuel, choisir de renforcer la sécurité sociale et payer pour elle est un choix assez politique. Cette option est rendue possible par le nouveau code des sociétés et des associations. »
Soutiens efficaces en Région bruxelloise
Le projet du Pain Levé a réellement pris son envol lorsque ses initiateurs ont décidé de répondre à un appel à projets en économie sociale qui les a obligés à élaborer un plan financier objectif et réaliste. Le groupe a ensuite obtenu un subside OpenSoon. Ensemble, ces deux subsides permettent de financer les salaires d’une partie de l’équipe. Fort de son expérience dans l’accompagnement de porteurs de projets, Sylvain Launoy jette un regard très positif sur le soutien offert à Bruxelles aux jeunes entrepreneurs. « Nous n’avons pas éprouvé de difficulté majeure pour obtenir ces subsides. J’ai perçu pas mal de réactivité de la part des services concernés. Le fait que ces aides nous permettent de payer même modestement trois d’entre nous pendant notre première année de fonctionnement est très important. Cela nous apporte une sérénité bienvenue, nous libère d’une partie de la pression financière pendant cette période où il nous faut encore régler toute une série de problèmes organisationnels. »
Enfin, une campagne de crowdfunding a aussi permis de diluer le risque. « Ainsi, explique Sylvain Launoy, si notre projet échoue, nous perdrons évidemment quelques plumes, mais modérément. Nous ne nous retrouverons pas endettés pendant des années. » Quoi qu’il en soit, ce sera au cours de sa deuxième année de fonctionnement que Le Pain Levé devra prouver sa rentabilité, générer assez de chiffre d’affaires pour payer ceux qui le font vivre.
Un brin de folie et beaucoup de réalisme
Si c’était à refaire, le quatuor le referait, plus riche évidemment d’une expérience que Sylvain Launoy tient à partager avec tous ceux que l’entrepreneuriat tente. « Je leur dirais d’oser mais sans se mettre trop de pression afin que leur projet reste vivable, qu’il leur laisse de bons souvenirs quoi qu’il arrive. Sans doute n’y a-t-il pas de bonne manière d’agir, mais je leur recommanderais aussi de faire les choses dans l’ordre et je partagerais avec eux une maxime que je trouve très juste: l’entreprenariat est un brin de folie et beaucoup de réalisme. Pas l’inverse.»
Infos pratiques:
Le Pain Levé
Rue Josaphat, 101
1030 Schaerbeek
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Interview : Catherine Aerts