Le 15 février 2023, la nouvelle loi sur les lanceurs d'alerte entrera en vigueur. Elle vise à mieux protéger les lanceurs d’alerte dans les entreprises privées, y compris pour les professionnels soumis au secret professionnel. L’objectif est de mieux protéger les lanceurs d’alerte contre les représailles. Ils pourront également demander de l’aide et signaler plus facilement les mauvaises pratiques.
Les noms d’Edward Snowden, Chelsea Manning, Antoine Deltour ou Frances Haugen vous disent-ils quelque chose ? Ce sont quelques-uns des lanceurs d’alerte les plus célèbres qui ont révélé publiquement des violations commises par des organisations ou des agences pour lesquelles ils travaillaient. Mais en Belgique aussi, certains scandales n’auraient jamais été révélés sans les lanceurs d’alerte. Pensons par exemple au scandale environnemental chez 3M à Zwijndrecht, à la crise sanitaire des œufs au fipronil en 2017, aux malversations financières de l’allemand Wirecard ou à l’affaire Nethys* (dixit le ministre de l’Économie Pierre-Yves Dermagne).
Cependant, les conséquences personnelles, juridiques et politiques pour les individus qui dénoncent des violations flagrantes de la loi par leur employeur ne sont pas négligeables. Souvent, la crainte de représailles dissuade les lanceurs d’alerte potentiels de faire part de leurs préoccupations ou de leurs soupçons. C’est pourquoi l’Europe a jugé nécessaire de forcer leur protection par une directive spécifique en 2019. La transposition en droit belge a également des conséquences pour les services publics et le secteur privé.
En quoi consiste exactement la directive sur les lanceurs d’alerte ?
La directive établit des règles et des procédures pour protéger les "lanceurs d’alerte", c’est-à-dire les personnes qui signalent des informations obtenues dans un contexte professionnel concernant des violations du droit communautaire dans des domaines politiques clés. Les violations comprennent à la fois des actes ou négligences illégaux et des abus.
Les noms cités dans notre introduction donnent l’impression que l’on ne devient un lanceur d’alerte que lorsque son nom est connu dans la presse, ce qui n’est pas le cas. Une personne qui signale une violation en interne ou en externe, qui ne subit pas de représailles et dont l’identité ne sera jamais rendue publique, est également considérée comme un lanceur d’alerte.
De quelles violations s’agit-il ?
Les faits dénoncés doivent être graves et concerner les dix domaines énumérés dans la directive, tels que l’environnement, la santé publique, la cybersécurité, les marchés publics, les services financiers, la sécurité et la conformité des produits, la protection des consommateurs, la fiscalité des entreprises, les règles en matière de concurrence et d’aides d’État, la protection de la vie privée et des données à caractère personnel (RGPD)...
Les signalements relatifs à la sécurité nationale, au secret professionnel des avocats et au secret médical sont exclus du champ d’application de la directive.
La protection s’applique non seulement aux violations constatées, mais aussi aux soupçons raisonnables sur des violations réelles ou potentielles qui ont eu lieu ou se produiront très vraisemblablement, ainsi qu’aux tentatives de dissimulation de ces violations.
La directive complète la législation européenne spécifique qui contient déjà des règles concernant les lanceurs d’alerte (notamment en matière de services financiers, de blanchiment d’argent, de financement du terrorisme, de sécurité des transports et de protection de l’environnement).
À l’heure actuelle, il n’existe en Belgique qu’un cadre pour le signalement des violations dans le secteur financier et chez les fonctionnaires fédéraux et flamands. Mais on travaille également à un projet plus large dans les services publics fédéraux.
Qui cette directive protège-t-elle ?
La législation s’applique à un large éventail de personnes travaillant dans les secteurs privé et public :
- anciens ou actuels travailleurs, indépendants, actionnaires, membres de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance d’une entreprise, bénévoles, stagiaires et candidats à un emploi ;
- personnes qui aident les auteurs de signalement de manière confidentielle, personnes en lien avec un auteur de signalement susceptibles de subir des représailles au travail, et les entités juridiques avec lesquelles l’auteur de signalement est en lien.
Les personnes sont protégées lorsqu’elles font part de leurs inquiétudes, à condition que :
- elles aient d’abord effectué un signalement (interne et) externe de violations, mais qu’aucune mesure n’a été prise par la suite ;
- elles aient des motifs raisonnables de croire que la violation peut représenter un danger imminent ou manifeste pour l’intérêt public, qu’il existe un risque de représailles ou qu’il y a peu de chances qu’il soit véritablement remédié à la violation.
Les motifs qui poussent les auteurs de signalement à signaler les faits doivent être indépendants de la décision de leur accorder ou non une protection. Toute personne qui signale ou divulgue intentionnellement des informations fausses ou trompeuses ne bénéficiera d’aucune protection et sera soumise à des sanctions déterminées par chaque État membre. Si le lanceur d’alerte peut néanmoins montrer qu’il a transmis l’information incorrecte de bonne foi au moment du signalement, la protection reste entière.
Jusqu’où s’étend la protection des lanceurs d’alerte ?
La directive exige des États membres que les auteurs de signalement :
- soient protégés contre toute forme de représailles, sous les formes suivantes : licenciement, rétrogradation ou refus de promotion, intimidation et mise sur liste noire, suspension, transfert de fonctions, changement de lieu de travail, réduction de salaire, la modification des horaires de travail, suspension de la formation, évaluation de performance ou attestation de travail négative, mesures disciplinaires imposées ou administrées, réprimande ou autre sanction, y compris une sanction financière, mesures disciplinaires imposées ou administrées, réprimande ou autre sanction, y compris une sanction financière, coercition, intimidation, harcèlement ou ostracisme, discrimination, non-renouvellement ou résiliation anticipée d’un contrat de travail temporaire, résiliation anticipée ou annulation d’un contrat pour des biens ou des services, annulation d’une licence ou d’un permis...
- aient accès à des mesures de soutien appropriées, notamment à des informations et des conseils indépendants, ainsi qu’à une assistance juridique conformément aux règles européennes dans le cadre des procédures pénales et civiles transfrontières ;
En Belgique, les informations et le soutien se font par l’intermédiaire de deux instances :- Le Médiateur fédéral agit en tant que coordinateur fédéral des signalements externes. Le médiateur reçoit les signalements externes, vérifie leur recevabilité et transmet les informations à l’autorité compétente. Dans des cas exceptionnels, le médiateur mène également l’enquête sur le fond et traite les dossiers de protection.
- L’Institut Fédéral pour la Protection et la Promotion des Droits Humains (IFDH) fournira aux lanceurs d’alerte un soutien professionnel, juridique et psychologique. Cela peut se faire par l’intermédiaire de l’Institut lui-même ou de tiers tels que des cabinets d’avocats ou des psychologues spécialisés dans ce domaine.
- aient accès à des voies de recours et à une indemnisation. Le recours approprié peut prendre la forme d’actions en réintégration, par exemple en cas de licenciement, de mutation ou de rétrogradation, de suspension de formation ou de refus de promotion, ou en rétablissement d’un permis, d’une licence ou d’un contrat annulés ; d’un dédommagement des pertes financières actuelles et futures, par exemple pour les pertes de salaires antérieurs, mais aussi les pertes de revenus futurs, et l’indemnisation d’autres préjudices économiques, tels que les frais de justice et les frais médicaux, ainsi que du préjudice immatériel tel que la douleur et les souffrances.
Comment faire un signalement ?
Le projet de loi établit 3 canaux pour faciliter le signalement de cas par les lanceurs d’alerte :
-
Un canal interne à l’entreprise
Les entreprises de plus de 50 travailleurs devront désigner un gestionnaire du signalement et démontrer que le canal de signalement interne offre toutes les garanties nécessaires en matière de sécurité et de confidentialité. Ce canal interne permettra aux entreprises de mieux détecter les problèmes au sein de leur organisation et d’y remédier.Les signalements peuvent être faits par écrit, par téléphone ou en personne. Le gestionnaire du signalement doit accuser réception du signalement dans les 7 jours et fournir une réponse dans un délai maximum de 3 mois. Il tient également un registre des signalements reçus. L’identité de l’auteur de signalement ne doit être divulguée à personne d’autre que le personnel autorisé chargé de la réception ou du suivi des signalements sans son consentement exprès.
L’inspection du travail pourra effectuer des contrôles et s’assurer que le canal interne mis en place par l’entreprise offre toutes les garanties nécessaires en termes de sécurité et de confidentialité des signalements.
-
Un canal externe mis en place par le gouvernement
Les travailleurs peuvent également utiliser un canal externe mis en place par le gouvernement, s’ils estiment que leur plainte n’a pas abouti à un résultat satisfaisant. Le canal externe peut également être utilisé si un travailleur n’a pas confiance dans l’entreprise. Ceux qui le souhaitent peuvent se plaindre directement auprès du Médiateur fédéral, qui s’assure que le signalement est suivi par les autorités. - Une publication dans la presse
Enfin, un signalement peut également se faire par voie de presse si, par exemple, il existe une menace immédiate pour l’intérêt public ou un risque de destruction des preuves.
Que prévoit la Belgique ?
À l’origine, la directive européenne devait être transposée dans la législation nationale au plus tard le 17 décembre 2021, mais la Belgique et plusieurs autres États membres européens ont connu des retards.
Une directive européenne se caractérise par le fait qu’elle impose des normes minimums, que les États membres doivent concrétiser au niveau national. Le projet de loi adopté va au-delà de la directive européenne sur les lanceurs d’alerte.
- Contrairement aux dispositions de la directive européenne, la fraude fiscale et sociale relèvera également de l’approche belge. Il s’agit d’une étape importante dans la lutte contre la grande fraude fiscale et sociale.
- Les signalements anonymes sont également possibles via le canal externe et via le canal de signalement interne dans les entreprises de plus de 250 travailleurs.
- La condition facultative de la directive, qui prévoit que les motifs de l’auteur de signalement doivent être positifs, désintéressés et de bonne foi pour pouvoir bénéficier d’une protection, n’a pas été retenue pour assurer la meilleure protection.
- Enfin, la demande de secret professionnel formulée par les professions du chiffre (conseillers fiscaux, comptables, etc.) a été rejetée. Le secret professionnel reste réservé aux avocats qui doivent défendre leur client devant le tribunal et aux médecins. Les professionnels du chiffre pourront donc aussi devenir lanceurs d’alerte.
Quelles sont les implications pour les entreprises ?
Toutes les entités (SA, SRL, a.s.b.l. etc.) comptant 50 travailleurs ou plus, les organismes publics, les autorités et les communes de 10 000 habitants ou plus sont tenues de mettre en place des points de signalement internes, d’informer les parties intéressées sur les procédures de signalement et d’établir des canaux de signalement internes appropriés.
Secteur |
Que dit la directive ? |
Quels sont les assouplissements possibles ? |
Secteur privé |
Toutes les entités (SA, SRL, a.s.b.l. etc.) de 50 travailleurs ou plus sont tenues de mettre en place un point de signalement interne |
La Belgique peut accorder un report supplémentaire de deux ans (jusqu’au 17 décembre 2023) aux entreprises comptant entre 50 et 250 travailleurs. |
Secteur public |
Toutes les entités sont tenues de mettre en place un point de signalement interne, quel que soit le nombre de travailleurs |
La Belgique peut prévoir une exemption pour les petites communes ou autres organes publics comptant moins de 50 travailleurs. |
Source securex
Les motifs qui poussent les auteurs de signalement à signaler des violations doivent être indépendants de la décision de leur accorder ou non une protection. Les petites entreprises ne doivent donc pas prendre d’initiatives à cet égard (bien que ce ne soit pas une mauvaise chose de le faire, voir plus loin).
Comme certaines questions de respect peuvent être déterminées par les États membres eux-mêmes, une entreprise ayant des succursales dans plusieurs pays doit tenir compte du fait que le respect peut différer dans les juridictions européennes. Le respect dans un État membre n’entraîne donc pas nécessairement le respect dans tous les autres États membres.
Le premier rapport lanceurs d’alerte 2021 montre que de nombreuses entreprises ont déjà mis en place de manière proactive des points de signalement et reçu des signalements qui leur ont permis de mieux gérer les risques au sein de leur organisation. L’introduction de règlements internes sur les lanceurs d’alerte fait d’ailleurs de plus en plus partie du gouvernement d’entreprise dans les grandes sociétés.
Bien entendu, la réglementation sur les lanceurs d’alerte diffère des plaintes ordinaires. En ce qui concerne le secret des affaires également, il existe déjà une directive qui prévoit des exceptions pour tenir compte de l’exercice de la liberté d’expression et des mises en garde pour protéger l’intérêt public.
Que pouvez-vous faire en tant qu’entreprise ?
Même si vous n’êtes pas (encore) obligé en tant qu’entreprise de mettre en place un point de signalement interne ou que vous n’employez pas 50 travailleurs, il est bon de le faire de toute façon. Chaque entreprise souhaite en effet protéger sa réputation et éviter un signalement auprès d’un organe public ou dans la presse. En prévoyant un canal interne, vous augmentez la probabilité que les travailleurs et autres contacts professionnels fassent effectivement leur signalement par ce canal interne. Vous devez, bien entendu, respecter les principes de la directive pour tout signalement (indépendance, confidentialité, protection des données et secret).
Préparez dès maintenant votre de point de signalement interne :
-
Quelle personne ou fonction au sein de l’organisation sera responsable de la réception et du suivi des signalements ? Vous pouvez confier cette responsabilité en interne, par exemple au responsable des RH, au juriste d’entreprise, au compliance officer ou au responsable RGPD, ou la confier à un tiers externe spécialisé. Cette personne mettra alors en place le point de signalement et recevra et examinera les plaintes en votre nom.
-
Déterminez à quoi ressemblera la procédure lanceur d’alerte. Comment le point de signalement sera-t-il organisé techniquement ? Comment garantissez-vous la confidentialité de l’identité du lanceur d’alerte ?
Une concertation avec les partenaires sociaux sur la procédure est généralement indiquée. Envisagez éventuellement de donner aux syndicats un rôle de soutien plus formel pour les travailleurs qui veulent s’exprimer (parce que ce n’est toujours pas facile de le faire de toute façon !) -
Décidez de la manière de traiter les signalements. Accordez ici une attention particulière à chaque action que vous entreprenez vis-à-vis du lanceur d’alerte. Certaines actions pourraient en effet être considérées comme des représailles, risquant de donner lieu à une demande d’indemnisation. Pour renforcer cela, la directive prévoit un renversement de la charge de la preuve. Dès que le lanceur d’alerte démontre de manière plausible qu’il a subi un préjudice à la suite d’un signalement, vous devez, en tant qu’employeur, prouver que votre action n’est en aucun cas liée au signalement.
-
N’oubliez pas que vous êtes tenu de fournir des informations sur la réglementation sur les lanceurs d’alerte et les différentes possibilités de signalement, en tout cas à vos propres travailleurs mais aussi à des tiers tels que des prestataires de services externes.
-
Conseil : vérifiez si votre secrétariat social ne dispose pas d’une politique type ou de listes de contrôle concernant la réglementation sur les lanceurs d’alerte !
Voulez-vous lire vous-même la directive dans son intégralité ? Vous la trouverez ici.
Sources : Directive (UE) 2019/1937 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union ; communiqué de presse du Ministre Dermagne ; Securex
Evénements
Actualités