Avec Adélaïde, Fiona et Laetitia, on est loin des stéréotypes de genre puisque les trois entrepreneuses sont ingénieures civiles. C’est d’ailleurs dans le cadre de leurs études à l’UCLouvain qu’elles sont devenues amies et ont développé l’ébauche de leur entreprise Greenzy et du composteur domestique qui en est le fer de lance.
EN QUOI CONSISTE CETTE JEUNE STARTUP?
«Il s’agissait de simuler une création d’entreprise basée sur un projet technologique tout en sortant des sentiers battus, précise Adélaïde Biebuyck, cofondatrice et CEO de Greenzy. Nous avons décidé de miser sur un composteur innovant ayant pour objectif de simplifier au maximum toutes les tâches liées au compostage et d’éliminer les contraintes pour permettre à un maximum de personnes de composter.
Nous avons tant apprécié l’exercice qu’une fois la partie universitaire de notre travail menée à bien, nous avons eu envie de continuer, de mettre sur pied un vrai projet entrepreneurial. Aussi, avons-nous demandé à être incubées par l’Yncubator, un incubateur pour start-ups étudiantes situé à Louvain-la-Neuve, afin de lui donner plus d’ampleur et de démarrer dans de bonnes conditions. C’est ainsi que nous avons pris goût à l’entrepreneuriat.»
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Etudiantes et entrepreneures
Les trois apprenties-entrepreneures et les circonstances ont laissé au projet le temps d’arriver à maturité. Adélaïde Biebuyck poursuit: «Pendant les deux premières années et demie de notre parcours, le fait d’être encore étudiantes a un peu ralenti notre processus de développement : durant le blocus ou les examens, tout était mis sur pause. C’est à cette période que nous avons commencé par analyser différentes cibles potentielles : les écoles, les restaurants, les entreprises et les particuliers.
Nous avons essayé de mesurer l’intérêt suscité et de déceler les problématiques sous-jacentes. Ensuite, nous nous sommes lancées dans la réalisation d’un premier prototype répondant autant que possible aux attentes et aux besoins du marché. » Cette étape prend place pendant la dernière année d’étude des trois amies, dans le cadre de leur mémoire. Les retours sont si encourageants qu’ils incitent Adélaïde et Laetitia, une fois leur diplôme en poche, à se lancer à temps plein dans l’entrepreneuriat tandis que Fiona décide de poursuivre son parcours académique au Canada.
Le trio devenu duo continue à prototyper, à progresser mais aussi à traverser des moments de doute. « En recherche et développement, c’est toujours comme cela, constate Adélaïde avec philosophie. Il y a des hauts et des bas, des moments où on a l’impression que tout va bien et d’autres où l’on a la sensation de régresser. »
Détermination de la cible
Mais au bout de six mois, les retours des douze testeurs volontaires galvanisent les deux jeunes femmes qui travaillent d’arrache-pied sur la solution design en travaillant sur l’aspect ergonomique avec Edmire, une société spécialisée en design industriel en éco-conception.
Quant à la cible, elles ont déjà eu l’occasion de l’affiner. «Nous avons remarqué que la plupart des restaurateurs, découragés par les contraintes liées au tri des déchets, n’étaient pas encore disposés à utiliser notre composteur, commente Adélaïde. Sans doute faudra-t-il attendre pour les convaincre que la législation se renforce dans ce domaine. Quant à ceux -peu nombreux- qui y étaient favorables, ils avaient déjà recours à d’autres solutions de gestion des déchets. Sans compter que les quantités de déchets générées étaient telles que la méthanisation était totalement justifiée.»
Le retour des écoles est meilleur, même si le coût financier du compostage et l’absence de références de la start-up constituent des obstacles de taille. «Beaucoup nous ont assurées qu’elles étaient prêtes à tester la solution gratuitement, sourit Adélaïde. Mais il nous fallait des vrais clients. C’est donc un marché que nous gardons en tête pour plus tard.»
Reste donc le troisième marché potentiel qui se révélera aussi le plus porteur: les particuliers. Trop peu d’entre eux en effet compostent et beaucoup trop de déchets sont encore incinérés.
Coup d’arrêt
Le projet semblait donc bien sur les rails quand la pandémie de covid-19 a éclaté. Comme beaucoup d’autres entrepreneurs, Laetitia et Adélaïde ont dû faire face à une situation aussi inattendue qu’inconfortable. «Non seulement, nous étions en phase de test, une étape vraiment compliquée à négocier seule. Pourtant je n’ai pas eu le choix, commente cette dernière. C’était aussi la période où nous avions prévu de réaliser une levée de fonds. L’un des deux investisseurs nous a lâchés : à cause de la pandémie, il préférait garder l’argent pour le portefeuille existant plutôt que d’investir dans de nouvelles initiatives. Du coup, notre levée de fonds a été diminuée de moitié. De plus, les notaires étant débordés par les donations, les créations de société ont pris du retard. Trois mois dans notre cas. Or le fait de ne pas être en société nous bloquait pour la demande de certains subsides et pour la suite du prototypage.»
Be Circular
Finalement, la société voit le jour en juin 2020, juste à temps pour participer à l’appel à projet de Be Circular 2020. «Laetitia est Bruxelloise et je suis Wallonne, précise Adelaïde. Depuis le début de l’aventure Greenzy, nous avons toujours travaillé à cheval sur les deux régions. En créant la société, nous avons d’ailleurs veillé à garder un pôle en Wallonie et un pôle à Bruxelles. Mais Bruxelles est pour nous un point d’ancrage très important parce qu’on sait que la problématique des déchets y est particulièrement importante. C’est pourquoi nous faisons de gros efforts pour nous intégrer au réseau bruxellois. Be Circular était donc très important pour nous.» Ce ne sera pourtant pas pour 2020.
Mais les deux associées ont pris bonne note des feedback reçus à cette occasion. Elles s’améliorent et retentent leur chance en 2021. Cette fois, leur tentative sera couronnée de succès. Elles obtiennent le prix Be Circular et un subside 100.000€ activé depuis août 2021. Depuis, il a déjà aidé les deux entrepreneures à mettre sur le marché les premiers exemplaires de leur composteur dans le cadre d’une campagne de crowdfunding qu’elles ont lancée sur Ulule en novembre 2021. Résultat : 127 composteurs prévendus en un mois pour un total de 55.100 €. Et dans l’avenir, le prix Be Circular interviendra dans la mise en production, l’achat de l'outillage nécessaire, et dans le développement de l’application Greenzy. Ce n’est d’ailleurs pas le seul subside dont les deux jeunes femmes ont bénéficié, car, de leur aveu-même, elles ont fait en sorte de profiter de toutes les aides auxquelles elles pouvaient prétendre, pour le prototypage, le dépôt de brevet, la recherche et la protection de marque, ainsi que pour la création de la société.
Femmes-orchestres
Actuellement, tandis que les préventes se poursuivent via le site Internet greenzy.eu de manière à atteindre un volume de production satisfaisant pour la première série, les deux entrepreneures jouent les femmes orchestre car il leur faut continuer à prévendre, rencontrer d’éventuels distributeurs, organiser en fin d’année une levée de fonds pour amorcer le début des ventes en direct, et en parallèle continuer à travailler sur le produit. Heureusement, elles sont accompagnées de deux stagiaires pour la partie marketing et continuent d’être entourées par leur ancien coach de l’Yncubator pour tout ce qui est IT, de deux spécialistes des secteurs commercial et finances et de Tom Staelens de Start it@KBC en matière de marketing.
Autant dire que, malgré les difficultés, si c’était à refaire, Adélaïde le referait sans hésiter. Et qu’elle a un message à faire passer aux aspirants entrepreneurs : «Je leur dirais de bien s’entourer parce que lorsqu’on crée une startup, il est impossible de posséder d’emblée en interne toutes les compétences nécessaires. Bien s’entourer permet de combler ces lacunes et ainsi de prendre les bonnes décisions et de se concentrer sur les bons axes sans trop se disperser et perdre trop de temps. Une bonne manière de trouver cet encadrement est de profiter des services d’accompagnements liés à des incubateurs ou des structures de plus en plus accessibles. C’est un atout majeur pour les startups.»
Interview: Catherine Aerts