L'histoire de « Simone a soif! » commence en 2013 à l'occasion d'un goûter d'anniversaire. Agnès Bonfond se demande comment éviter de servir des sodas classiques - « trop chimiques » - ou des jus de fruits - « trop sucrés » - à sa fille de 10 ans et ses copines. Elle fait quelques mélanges dans sa cuisine sous le regard sceptique de sa fille mais le jour dit, ses copines adorent. Et Agnès Bonfond se dit qu'il y a peut-être là un business à créer. « Simone a soif !» était née...
Est-ce qu'on peut dire que, dès le départ, votre produit a reçu une validation des consommateurs grâce aux réactions des amies de votre fille ?
Agnès Bonfond : « On peut le dire comme ça, oui. Les enfants sont très directs, très cash. Si ça leur plaît, ils le disent, si ça leur plaît pas, ils le disent aussi. Leur réaction a été très encourageante mais, évidemment, il y a eu d'autres validations par la suite. Le véritable tournant s'est produit quand j'ai rencontré deux agricultrices en Corrèze (France) et des productrices de plantes aromatiques. C'est avec elles que j'ai approfondi la notion d'hydrolat (une eau chargée des propriétés aromatiques de plantes qui sont distillées et que l’on recueille en même temps que l’huile essentielle), que je ne connaissais pas bien à l'époque et qui me semblait sous-utilisée dans le secteur alimentaire. »
A partir de quand la création de votre entreprise est-elle devenue une évidence pour vous ?
Agnès Bonfond : « Le moment décisif, après cette phase initiale faite de plein de rencontres, c'est le passage à la BSE Academy (l’actuel Greenlab) au début 2014. J'y suis arrivée avec l'idée et les premiers prototypes. Pendant six mois, j'ai été en contact avec l'équipe qui s'est ajoutée au projet, avec des experts, des consultants, qui nous ont soutenus et nous ont permis vraiment de sortir un business model qui tenait la route à partir d'une idée sympathique. Après avoir remporté le prix de la BSE, à l'été 2014, nous avons fait un appel à l'épargne via le crowdfunding (Kisskissbankbank). Cette étape nous a donné pas mal de visibilité et, aussi, un premier vrai contact avec une communauté, avec un vrai feedback sur nos produits. A la suite de quoi, nous sommes entrés dans une pépinière d'entreprises bruxelloises, Jobyourself, où nous avons commencé nos activités commerciales. »
Vous utilisez souvent le « nous » pour parler de « Simone a soif !». Ce n'est pas votre projet à vous seule ?
Agnès Bonfond : « Non, et c'est un choix délibéré. Personnellement, j'ai beaucoup plus de plaisir à travailler en groupe que seule, il y a dans un groupe des complémentarités qui me nourrissent davantage. Il était clair dès le départ que je ne souhaitais pas porter cette entreprise seule. Je souhaitais m'associer à d'autres personnes. Ça fait un moment déjà que je travaille avec Antoine et Alexandre qui ont rejoint le projet à des moments différents. Et là, on forme une équipe de fondateurs qui porte vraiment le projet. »
Revenons à votre business : est-ce qu'on peut dire que la croissance a été immédiate une fois les premières boissons ont été mises sur le marché ?
Agnès Bonfond : « La croissance est forte maintenant. Mais dans un premier temps, nous avons avancé prudemment, nous avons volontairement limité les volumes parce qu'à chaque étape, nous voulions une validation du marché pour être certain que nous avancions dans la bonne direction en termes de tarifs, de packagaing, d'image, approche leanstart-up, etc).
A l'été 2016, nous avons décidé de passer à la vitesse supérieure. En fait, nous sommes en train de changer d'échelle. En juin, nous avions une trentaine de points de vente, en décembre, plus de 150 et la croissance se poursuit. Nous avons commencé par Bruxelles et la Brabant wallon et là, nous sommes en train de nous développer en Wallonie et en Flandre. Et pour 2017, on va prospecter Louvain, Anvers, Gand et Mons et lancer des pilotes en France pour voir comme le marché français accueille nos boissons. »
Quel circuit de distribution avez-vous choisi pour vous développer ?
Agnès Bonfond : « Nos clients sont essentiellement des établissements horeca, mais avec une particularité, ils sont dans le local, le bio, l'alternatif ou la nouveauté et donc, ils se démarquent des établissements traditionnels. Notre stratégie commerciale repose sur les quartiers : d'abord, nous essayons d'être présent dans quelques établissements horeca d'un quartier déterminé puis, nous élargissons notre présence dans quelques magasins dans ce quartier, magasin bio ou épicerie fine. »
A ce stade, vous produisez vos boissons dans votre propre atelier ?
Agnès Bonfond : « Non, même s'il est vrai que, dès le départ du projet, notre choix était – et reste – clairement d'avoir notre propre outil de production à Bruxelles. Néanmoins, ça n'a aucun sens économique d'investir d'emblée dans une installation de production coûteuse tant que l’on n’a pas construit ses canaux de distribution de manière solide. On a donc cherché un outil de production qui réponde à nos critères – notamment de qualité, d’embouteillage en petit contenant, certifié bio et assurant le volume requis – et ça n'a pas été simple ! Mais en même temps, vu le succès de nos boissons, nous allons mettre en route une étude de faisabilité pour voir à quel moment et quel type d'atelier aurait du sens pour nous et, j'insiste, à Bruxelles. »
Quand vous regardez un instant les trois années qui viennent de s'écouler, avez-vous le sentiment qu'à un moment donné, vous avez reçu un conseil clé qui a vraiment changé la donne ?
Agnès Bonfond : « Des conseils, on en a reçu pas mal, d'autant plus que nous sommes intégrés dans différents réseaux entrepreneuriaux et, franchement, et je trouve que ces échanges de connaissances et d'expériences sont vraiment très importants, soit avec des entrepreneurs déjà expérimentés, soit avec des startups qui sont dans un stade de développement similaire au nôtre. Tous ces échanges nourrissent nos réflexions au quotidien.
Maintenant, si je devais sortir l'un ou l'autre élément, je dirais d'abord l'approche lean startup conseillée par hub.brussels. Cette approche nous a vraiment aidés à développer quelque chose qui a du sens, ça m'a vraiment guidée dans ce projet-ci. Le lean startup, c'est un modèle de développement où, plutôt que de développer d'emblée le produit de nos rêves pour essayer ensuite de le vendre, on le développe petit à petit en se raccrochant à chaque étape au monde économique qui nous entoure. Et quand quelque chose bloque, on essaie de comprendre pourquoi et de résoudre le problème. C'est une stratégie de petits pas, qui peuvent néanmoins être rapides. »
Une phrase peut-être qui vous guide au quotidien ?
Agnès Bonfond : « Oui, faire des compromis sans se compromettre. Un entrepreneur doit faire des quantités de choix tous les jours, et ce n'est pas évident. Je vous donne un exemple imaginaire mais qui reflète bien la difficulté de ces multiples décisions qu'il faut prendre : vous voulez fabriquer une boisson avec de la fraise, mais quelle fraise ? Une fraise de pleine terre cultivée à 150 kilomètres et qu'il faut faire venir par camions ou une fraise cultivée en serre chauffée à 5 kilomètres ?
Nous devons en permanence résoudre des dilemmes de cette nature et il n'y a pas de réponse évidente, pas de solution parfaite, mais nous avons un cap et nous le gardons. D'où cette idée de compromis sans compromission. Nous avons des valeurs, nous voulons les garder et je crois que les consommateurs le perçoivent. Ils ressentent cette authenticité, cette sincérité. Tout ce que nous faisons, nous le disons, et tout ce que nous disons, nous le faisons. Nous sommes à l'écoute de tout ce qui nous entoure mais en gardant notre propre opinion sans être ballottés au gré du vent. »
Si vous deviez donner un conseil à un jeune entrepreneur ?
Agnès Bonfond : « Aller immédiatement à la rencontre de ses futurs consommateurs, même si le produit n'est pas encore parfait. C'est comme ça qu'il va recueillir le plus d'informations. Et il ne faut pas avoir peur qu'on vous « pique » votre idée. Bien sûr, il y a un risque qu'on vous copie, mais on a, je crois, beaucoup plus intérêt à s'ouvrir qu'à se fermer aux autres. Et puis, si on est bon et qu'on est copié, ça signifie aussi que le marché va se développer... Mais alors, bien entendu, il faut s'efforcer de garder une longueur d'avance. »
Interview : Adrien Mintiens