Une épicerie de produits alimentaires secs en pots de verre consignés, commandés en ligne et livrés par coursier à vélo. L’idée peut paraître toute simple, mais il fallait y penser. Florence Posschelle et Aurélie Manzi l’ont fait. Cela s’appelle www.lili-bulk.com, cela se passe à Bruxelles et c’est un succès.
L’écologie et l’entreprenariat faisaient-ils a priori partie de votre ADN ?
Florence Posschelle : L’idée de monter mon propre projet me titille depuis la naissance de mon fils aîné aux environs de la trentaine. A l’aube de la quarantaine, forte plus grande maturité et d’une expérience professionnelle déjà substantielle, je me suis sentie prête à faire le pas.
Après avoir étudié la gestion à l’UCL, j’avais en effet entamé une carrière professionnelle assez classique d’abord dans la consultance puis dans le marketing. Ensuite, j’ai passé dix ans à développer des parcs éoliens en Wallonie. J’avais déjà la fibre verte ! J’ai vécu de belles expériences, mais à l’arrivée de mon troisième enfant, l’envie de nouveauté et le désir de réaliser mon propre projet m’ont rattrapée. C’est ainsi je me suis retrouvée à lancer Lili Bulk. Il s’agit d’un projet de vente en ligne mais j’ai aussi une casquette plus ‘citoyenne’. En parallèle, je poursuis donc des activités de coaching ‘zéro déchet’ pour la commune de Woluwé-Saint-Lambert. J’apprécie l’accompagnement, la rencontre.
Il s’agit donc d’une belle aventure à tous points de vue ?
F.P. : Il y a deux ans, j’ai découvert le ‘zéro déchet’, une manière de vivre qui modifie le quotidien privé et professionnel de la plupart de ceux qui y adhèrent. En tant que consommatrice je me suis demandée comment simplifier ce mode de vie, comment le rendre plus accessible aux familles modernes. Lors d’un ‘entrepreneurs weekend’, j’ai rencontré une passionnée d’alimentation durable: Aurélie Manzi, ma future associée. A la fin du weekend, notre proposition d’une épicerie en ligne zéro déchet, de vrac prêt à l’emploi a été retenue. Elle a pu bénéficier de l’accompagnement du Greenlab hub.brussels pendant six mois. Cet accompagnement nous a permis de lancer Lili Bulk rapidement.
Quelle est la trajectoire de Lili Bulk ?
F.P. : L’idée de notre épicerie en ligne a émergé en avril-mai 2016. Nous avons effectué nos premières ventes au mois de novembre 2016 et le 8 juin dernier, nous avons enfin fait la fête avec plus de cent personnes pour le lancement officiel de Lili Bulk.
En matière de financement, nous avions le choix entre la stratégie ‘cash burn’ qui consiste à faire d’importantes levées de fonds et à voir très grand d’emblée, et la stratégie ‘bootstrap’ selon laquelle on évolue progressivement en couvrant toujours ses dépenses et en accordant une grande attention au feedback de la clientèle. Nous avons opté pour cette seconde option qui pour le moment nous donne satisfaction, sans exclure à court terme les autres.
Les activités de Lili Bulk ont débuté dans le demi sous-sol de mon domicile privé avec un site Internet et un bon de commande en Excel que j’avais conçus moi-même. Depuis mai dernier, nous avons emménagé dans un atelier avenue Georges Henri à Woluwé et mis en ligne une nouvelle version de notre site. Enfin nous sommes désormais trois associés puisque Frédéric Hebbelynck nous a rejointes en ce début d’année. Nous faisons beaucoup de choses nous-mêmes mais nous travaillons avec des sous-traitants pour la livraison à vélo.
Aujourd’hui, le consommateur qui a opté pour le ‘zéro déchet’ veut savoir d’où viennent les denrées qu’il achète, qui en est le producteur. Plus la transparence est grande, plus le producteur est petit, plus le produit sera de qualité mais aussi plus le prix sera impacté. Nous essayons de trouver le bon équilibre pour proposer un bon rapport qualité/prix tout en racontant une histoire avec les produits. Certains de nos fournisseurs sont bruxellois comme les Pilifs pour les biscuits. Nous travaillons aussi en circuit court ou avec un intermédiaire bruxellois qui se charge de trouver des produits ayant une histoire, sans oublier les fournisseurs plus classiques qui alimentent par ailleurs les magasins de vrac qui proposent des produits plus anonymes.
Avez-vous dû faire face à quelques écueils depuis la création de Lili Bulk?
F.P. : Le plus difficile est d’arriver à pérenniser le modèle. Nous effectuons le conditionnement, le lavage, nous offrons tout le service, mais le consommateur ne veut évidemment pas payer beaucoup plus cher que dans un magasin où il se fournit lui-même en vrac. Tout le challenge est là: arriver à proposer un produit de qualité à un prix abordable tout en offrant le service et en étant rentable. Cela signifie que nous devons miser sur le volume. Pour atteindre cet objectif, nous recourons à la vente directe via notre site Internet, mais également à la collaboration avec d’autres partenaires, des magasins bio. La mise en place d’un tel réseau constitue aussi une belle opportunité.
Il n’est pas simple non plus de garantir la bonne entente de l’équipe au moment de créer un pacte d’actionnaires avec des apports de chacun, des responsabilités, des pourcentages d’actionnariat. Dans notre cas, cela s’est bien terminé, nous en sommes même sortis plus forts, mais certaines startups ont connu de fortes tensions voire ont explosé à ce stade. Après coup, je pense que recourir à un facilitateur externe aurait pu nous éviter certaines discussions difficiles.
Parlez-nous des aides dont vous avez pu bénéficier
F.P. : En dehors de l’aide apportée par le Greenlab, il faut insister sur l’efficacité du 1819 qui, sur un simple coup de téléphone, oriente très précisément les apprentis entrepreneurs. Nos fournisseurs nous ont aussi apporté une aide appréciable en nous faisant d’emblée confiance, en nous guidant dans la connaissance du produit et du fonctionnement du système.
Nous avons aussi la chance d’être bien entourés: nos conjoints nous ont aidés par leurs conseils ainsi que par leur soutien financier indirect car nous avons dû réduire significativement nos revenus professionnels.
Comment voyez-vous l’avenir de Lili Bulk ?
F.P. : Jusqu’ici, la consigne existait déjà pour les boissons, les laitages et (en France) pour les huiles et les vinaigres, mais pas pour les produits secs. Nous désirons mettre en place un réseau de consigne à Bruxelles, en Belgique et pourquoi pas à l’international. Nous désirons que le bocal Lili Bulk puisse circuler entre tous les acteurs qui proposent le produit, que le consommateur puisse l’acheter à un endroit et le rendre ailleurs dans tout le maillage des magasins et produits bio, qu’il devienne un standard de la consigne et c’est déjà partiellement le cas aujourd’hui. Certains reprennent désormais notre idée. Cela tend à démontrer que c’est une bonne idée.
Nous désirons aussi augmenter notre gamme de produits qui comptait cinquante références au début et en totalise plus d’une centaine aujourd’hui. Et nous lançons prochainement des accessoires et des produits d’entretien ‘zéro déchet’.
Votre expérience vous-a-elle apporté des enseignements que vous désireriez partager ?
F.P. : Je recommande aux futurs entrepreneurs de s’associer même si cela peut sembler aléatoire, mais c’est comme un mariage: après la période de fiançailles c’est le quotidien qui permettra de découvrir si l’équipe fonctionne ou pas. Quoi qu’il en soit, il faut se lancer, essayer.
Au démarrage, il est aussi souhaitable de se ménager une période de transition: cumuler deux emplois peut sembler lourd, mais permet d’appréhender sereinement l’évolution du projet et de s’investir progressivement dans sa réalisation.
Il ne faut pas non plus hésiter à parler de son idée. Je pense que la transparence est toujours gagnante. Elle engendre la confiance et permet d’assurer une transition plus en douceur. Et puis ne restez pas seul face à votre ordinateur. Allez sur le terrain pour y confronter votre idée avec vos clients potentiels!
Interview par Catherine Aerts
(légende photo)
L’équipe de Lili Bulk : de gauche à droite Aurélie Manzi, Florence Posschelle, Frédéric Hebbelynck