C’est une belle histoire belge et même bruxelloise, une innovation vertueuse née en 2017 au fil d’appels vidéo entre Maxime Van der Meerschen en plein Erasmus à Tokyo et Elias Printz resté étudier à la Solvay Business School. Ensemble mais à distance, ils ont jeté les bases de GiveActions, l’appli pour changer le monde depuis son smartphone qui, depuis Bruxelles, étend son influence sur la Belgique francophone et la France.
«A cette époque, la presse accordait beaucoup de place à l’urgence climatique et au rapport du GIEC qui venait de sortir, se souvient Maxime. Cela nous a incités à essayer de lancer un outil qui permette à chacun.e de se bouger pour la planète gratuitement, et d’avoir un impact concret grâce à des objectifs facilement mesurables.»
Innovation vertueuse
Les deux futurs ingénieurs de gestion ont passé plusieurs mois à se documenter, à consulter des experts, à élaborer leur business plan. Ils ont trouvé l’inspiration auprès des moteurs de recherche responsables français Ecosia ou Lilo qui reversent une partie de leurs bénéfices, le premier pour contribuer à la plantation d’arbres et le second pour soutenir les projets associatifs choisis par ses utilisateurs. «Nous débordions d’idées que nous aimerions développer un jour, comme des mini jeux sponsorisés ou des sondages rémunérés, détaille Maxime. Mais finalement, la publicité nous a semblé l’outil le plus pratique à utiliser. Le principe est simple. Notre application met en contact trois types d’acteurs: les citoyens qui utilisent l’application pour regarder du contenu sponsorisé, c’est-à-dire de la publicité proposée par des entreprises, afin de récolter gratuitement de l’argent destiné à financer des projets d’associations. Les annonceurs paient au prorata du nombre de visionnages.» Avec cependant une triple réserve: le caractère intrusif de la publicité non désirée, la surconsommation prônée par certains annonceurs et la méfiance quant à l’utilisation des fonds récoltés par le secteur associatif.
A chaque problème sa solution
Maxime et Elias ont trouvé la parade. Maxime: «Notre objectif étant de travailler uniquement avec des entreprises qui ont une activité à portée environnementale, sociale ou culturelle positive, nous avons élaboré une charte disponible en ligne. D’autre part, proposer aux utilisateurs de regarder volontairement la publicité estompe le biais négatif associé à l’intrusivité de la publicité.» Enfin, les associations bénéficiaires doivent aussi se conformer à certains principes : « On leur demande de proposer des projets concrets avec un objectif mesurable de manière à ce que chaque utilisateur puisse savoir qu’il a planté tant d’arbres, offert tant de repas à des sans-abris, etc. C’est plus parlant que des résultats financiers. »
suite en dessous de l'image
Mise en œuvre
Un profil IT était indispensable dans une telle aventure. Gaspard Merten, un tout jeune informaticien de génie qui a fait ses preuves en développant une application de covoiturage à l’université de Liège, se joint donc à l’équipe et la version α de l’application est prête à être lancée en septembre 2018. Pendant les mois qui suivent, plusieurs centaines d’internautes et quelques entrepreneurs testent le concept. Les retours sont positifs. L’application peut donc être officiellement lancée à la mi-2019 et la société créée en septembre de la même année. Maxime, qui vient de terminer ses études, se consacre full time à ce projet en commençant par tester divers leviers marketing pour attirer la plus grosse communauté possible. « Le fait qu’il s’agit d’un ‘business de communauté’ constitue notre challenge, détaille-t-il. Il faut donc beaucoup de monde à la fois pour lever des sommes importantes et pour inciter les entreprises à travailler avec nous. Elles ne se donneront pas la peine de nous rejoindre si ce n’est que pour toucher un millier de personnes. »
Un coup de pouce… australien
La tâche est donc ardue… jusqu’au buzz provoqué dans les médias par les incendies qui ont dévasté l’Australie début 2020. Les utilisateurs de GiveActions réclament un projet en rapport avec cette catastrophe environnementale. L’équipe s’exécute, suscite l’intérêt de Tarmac, la chaîne de la RTBF, et génère 2.000 chargements supplémentaires en deux jours. «On a même cru qu’on s’était fait hacker, sourit Maxime. C’est en tout cas ainsi qu’on a compris que le marketing d’influence sur Youtube fonctionne bien. C’est aussi à partir de ce moment qu’on a beaucoup travaillé notre communication en matière d’acquisition d’utilisateurs. Mais cet engouement pour l’Australie reste une exception. Nous nous concentrons généralement sur les actions locales. C’est d’ailleurs ce qui est demandé par notre communauté. »
Prendre la crise comme une opportunité
À la veille du premier confinement, GiveActions était en plein essor. Le déclenchement de la crise du covid-19, s’il n’a pas ralenti la progression du nombre d’utilisateurs, a évidemment eu un impact sur le chiffre d’affaires lié au partenariat avec les entreprises, qu’elles soient en grande difficulté ou au contraire dépassées par leur succès, à moins qu’elles fassent preuve de frilosité face à l’incertitude et aux formes innovantes de publicité. « Je n’ai pas envie de me cacher derrière cette excuse, tempère Maxime. Nous devions améliorer notre communication, nos offres, etc. Nous avons utilisé cette période pour y travailler, pour multiplier les tests et effectuer de nombreux changements et améliorations.»
Bien s’entourer, facteur de réussite
Tout au long de leur développement, les jeunes chefs d’entreprise qui ont initié leur projet avant même la fin de leurs études, ont veillé à bien s’entourer et à utiliser tous les outils à la disposition des néo-entrepreneurs. Pendant deux ans, ils ont été accueillis au Start LAB, un incubateur de startups installé sur le campus de l’ULB. «Cela nous a été très utile, précise Maxime. Nous y disposions d’un espace de coworking gratuit, avec possibilité de suivre des formations hyper intéressantes, d’être suivis par un coach, de rencontrer gratuitement des experts, par exemple au moment de fonder la société, de se créer un réseau. Cela a vraiment été clef. L’encadrement permet de se structurer.» C’est d’ailleurs le conseil qu’il entend transmettre à tous ceux qui sont tentés par l’entrepreneuriat.
En novembre 2020, ils ont aussi pu lever des fonds avec le fonds Change, un fonds d’investissement à impact géré par le Credal et voué aux entreprises qui ont un impact positif sur la société, Digital Attraxion, un accélérateur de startups numériques, et le fonds Funds For Good, un petit fonds qui donne des petits tickets pour des projets à impact.
Projets d’avenir
Pour l’avenir, Maxime, Elias et Gaspard se sont fixés des objectifs assez ambitieux aussi bien en termes de chiffre d'affaires et de communauté que d’argent donné aux associations. Forts aujourd’hui de plus de 30.000 utilisateurs, ils comptent bien en réunir plus de 100.000 à la fin de l’année, répartis en Belgique francophone mais surtout en France, une cible plus large et plus ‘éduquée’ au marché du ‘don gratuit’. «Tout est lié, détaille Maxime. Si on augmente notre chiffre d’affaires, notre trafic, on pourra logiquement donner plus d’argent aux associations ! Se challenger est d’autant plus nécessaire que dans le business de communauté, il faut avancer vite !»
Et si c’était à refaire ?
« Nous le referions certainement, assure Maxime. C’est une expérience extraordinaire et je pense que mon profil est désormais beaucoup plus intéressant que celui de quelqu’un qui s’est contenté de rejoindre une grosse entreprise en sortant de l’école. On a fait de tout : de la vente, du marketing, je suis passé à la radio, à la télé, j’ai de l’expérience pour parler en public. Nous avons démontré que nous avions la volonté de nous bouger et d’atteindre des objectifs. Évidemment, si on pouvait recommencer je changerais pas mal de choses pour aller plus vite. C’est comme ça qu’on apprend. »
Interview: Catherine Aerts