La Monnaie est synonyme de musique, d’harmonie mais aussi d’engagement environnemental. Une transition qui porte un nom : le « Green Opéra ».
Tout le monde connaît ou croit connaître la Monnaie. Une maison d’opéra prestigieuse. Qui fait rayonner la culture bruxelloise grâce à une programmation riche chaque saison d’environ huit opéras dont au moins une création, de concerts, de récitals, de spectacles de danse. Dont le destin est lié à l’un des bâtiments emblématiques de la ville et qui investit régulièrement d’autres salles comme celles du Théâtre National ou du KVS. Mais aussi une véritable entreprise dont le personnel compte près de 400 membres permanents aux compétences multiples, auxquels s’ajoutent ponctuellement des renforts nécessaires pour certaines productions.
Une transition permanente
Et peut-être surtout une entreprise en transition exemplaire à Bruxelles et dans la sphère culturelle, un « Green Opéra » en devenir sous la houlette de son directeur Peter De Caluwé très attentif à la démarche. « À La Monnaie, nous sommes en perpétuelle transition, estime-t-il. Nous ne nous limitons pas à une réflexion sur les matériaux à utiliser et à réutiliser, sur les produits à éviter, sur ce que l’on mange, sur les modes de transport en ville pour nos équipes et notre public. Pour moi, cela va beaucoup plus loin. Le plus important est de mettre l’être humain plutôt que le système au centre de la discussion, et c’est révolutionnaire ! Donc il faut commencer à la base et la base, c’est -dire nous-mêmes : de quoi se nourrit-on physiquement et mentalement ? comment travaille-t-on ensemble ? comment vit-on en communauté ? »
texte continue sous l'image (droit d'auteur : Mireille Roobaert)
Inviter à la réflexion
Le directeur de la Monnaie souligne que l'institution a une responsabilité en tant qu'institution culturelle et établissement subventionné par l'État : « Le "produit" de la Monnaie est le résultat du travail humain, et l'objectif est de créer non pas des objets de consommation engendrant des bénéfices financiers, mais de la valeur ajoutée pour le public, les équipes, les artistes et la société. Dans le domaine culturel, les questions du "pourquoi" et du "comment" des actions entreprises sont cruciales, même si la réponse à la première interrogation n’est pas objectivement mesurable. Bien qu’éphémère, le produit culturel possède des implications sociétales et politiques. La responsabilité de l'institution envers le contribuable et la société est de susciter la réflexion, plutôt que de fournir un divertissement commercial et superficiel. »
Label Entreprise Écodynamique
Concrètement, et même si sa stratégie de RSE (responsabilité sociétale de l’entreprise) symbolisée par le « Green Opéra » ne portait pas encore son nom, la réflexion environnementale et sociétale à la Monnaie remonte à plus de 20 ans. En 2002 déjà, la maison d’opéra a en effet été l’une des premières entreprises bruxelloises à décrocher le Label Entreprise Écodynamique de la Région Bruxelles Capitale qui venait d’être créé. Il s’agissait là de la toute première démarche de valorisation des efforts environnementaux. Au début des années 2000, il n’était pas encore question du cœur d’activité des organisations distinguées - la production de spectacles dans le cas de la Monnaie -, mais plutôt de l’enveloppe du bâtiment, du tri des déchets, de la consommation d’énergie. Dans un premier temps, les efforts portent donc essentiellement sur les améliorations apportées au fonctionnement général de l’institution, ou sur le remboursement des transports en commun pour les déplacements domicile-travail. Ceci explique en grande partie pourquoi 87% des membres du personnel utilisent aujourd’hui régulièrement la STIB, la SNCB, le TEC ou De Lijn, alors que d’autres ont opté pour le vélo.
Le rôle de l’écoconseiller.ère
La Monnaie fait à cette époque figure de précurseur en matière de responsabilité sociétale. Elle crée en effet dès 2002 le poste d’écoconseiller·ère dépendant de la direction financière. Son rôle est multiple : mettre le sujet à l’agenda, faire en sorte que les décisions prises soient appliquées et en assurer le suivi, créer le lien entre les équipes internes et d’éventuel·le·s spécialistes externes, défendre le plan d’action, l’évolution de la démarche auprès du comité de direction.
On lui doit incontestablement l’avancement actuel du « Green Opéra » au sein de l’institution car avoir quelqu’un·e en charge d’un sujet aide à le faire exister. La fonction tend d’ailleurs à se créer dans d’autres structures mais n’est pas encore une généralité à Bruxelles. Et pourtant, l’écoconseiller·ère a fort à faire, surtout dans une maison d’opéra où les métiers sont multiples, où les interactions sont innombrables, où les contraintes sont nombreuses et parfois inattendues. Sait-on par exemple que les décors des spectacles passés sont entreposés dans des containers à Anvers ? Voilà qui complique considérablement les choses lorsqu’il est question d’en réutiliser certains éléments. Et pourtant, le plancher utilisé pour la mise en scène de Cassandra, le premier opéra de la saison 2023-2024, a pu être récupéré d’une précédente production grâce à la disponibilité, la compétence et la bonne volonté des équipes techniques. Car cela aussi fait partie de la mission de l’écoconseiller·ère : dialoguer, expliquer, motiver, impliquer, inspirer, canaliser, encadrer.
The Theatre Green Book
Pour s’aider dans sa démarche écoresponsable, la Monnaie a décidé de travailler avec le « Theatre Green Book », un guide international élaboré par un comité de plusieurs dizaines de professionnel·le·s du spectacle principalement britanniques. Y figurent les premières guidelines avec l’espoir qu’elles deviennent à terme un standard, un cadre de travail offrant des points de comparaison pour le secteur du spectacle vivant et de l’opéra. Comme dans les maisons d’opéra de Gent, Amsterdam ou Copenhague, ces recommandations sont communiquées à certaines équipes artistiques bruxelloises dans le but de les généraliser à terme. Parmi les informations distillées par ce green book, des recommandations entre autres sur le taux de réutilisation et de recyclage des décors ou des costumes. Si le principe peut paraître évident, la quantification de l’objectif et la manière d’y arriver se révèlent beaucoup plus complexes. Comptabilise-t-on par exemple les costumes en nombre d’exemplaires confectionnés ou en kilos d’étoffe utilisée ? Les équipes de la Monnaie sont actuellement en pleine phase d’analyse, d’observation car il est impossible d’établir des règles sans évaluation préalable du processus et de ses implications. Tel est le lot des entreprises en transition bien souvent confrontées à des problématiques nouvelles, amenées à s’interroger, à réfléchir à la meilleure solution possible.
Tous les secteurs concernés
Dans d’autres domaines tels que la mobilité du public, le plus gros poste d’impact carbone de la Monnaie et l’un des plus délicats, l’institution doit se cantonner à un rôle incitatif. Tout au plus peut-elle contribuer au développement de certaines solutions avec des opérateurs publics ou privés en charge du secteur. La saison dernière, elle a ainsi participé à un projet expérimental de navette à la demande pour se rendre au spectacle subsidié par le ministère fédéral de la mobilité, le cabinet de Georges Gilkinet. L’expérimentation a duré trois mois et en cas de validation, le service aurait pour vocation d’être partagé par l’ensemble du secteur culturel bruxellois. À retenir aussi le partenariat avec la SNCB pour proposer le ticket « Bravo ! » offrant des tarifs préférentiels sur le train à l’occasion de l’opéra Cassandra. Tous les aspects de la vie de la Monnaie sont ainsi concernés et font l’objet de mesures visant à réduire l’impact environnemental de la maison.
Stratégie RSE
Désormais, en plus de l’écoconseiller·ère, les membres du personnel sont de plus en plus nombreux dans les différents départements à intégrer la réflexion environnementale dans le cadre de leur fonction. Ce n’est certes pas encore le cas de tout le monde, mais les responsables ont bon espoir de convertir l’ensemble des équipes grâce à sa stratégie RSE qui embrasse les dimensions environnementale et sociétale. Élaborée à partir de 2022 sur le mode participatif, elle répond au besoin d’objectifs clairs avec une ambition bien définie de certain·e·s. Et débouche surtout sur une stratégie qui fournit aux équipes de la Monnaie un cadre de travail jusqu’en 2025-2030 avec des objectifs précis, souvent chiffrés.
La philosophie pour changer les choses
Ainsi la Monnaie, en poursuivant résolument sa transition, transmet-elle une image inspirante à l’ensemble de la société. Un devoir selon Peter De Caluwé. « On me demande très souvent si je crois vraiment que la culture peut changer le monde, confie-t-il. Je ne le pense pas. Ce sont les guerres, les différences entre riches et pauvres, le climat qui changent notre monde. Radicalement. La culture, elle, met le doigt sur les problèmes. Elle essaie d’ouvrir des fenêtres pour aider à mieux comprendre les problématiques auxquelles nous sommes confrontés. Évidemment, l’idéal serait d’arriver à un « Green Opéra » tenant compte de tous les ingrédients techniques, matériels et philosophiques. Car pour moi, c’est surtout la philosophie qui va changer les choses, parce que l’apport de la Monnaie à la réduction de CO2, même s’il n’est pas négligeable, sera toujours limité. »
Interview par Catherine Aerts