Ce n’est pas un hasard si la filière des industries créatives est devenue une priorité à Bruxelles : elle est tout simplement porteuse non seulement en termes d’emplois mais également en terme de création de valeur. C’est la conviction d’Alexandra Lambert, directrice du Centre Bruxellois de la Mode et du Design. Interview.
La mode et le design considérés comme une filière certes créative mais pleinement économique, c’est une évidence à Bruxelles ?
Alexandra Lambert : « A l’origine, non, il n’était pas évident de faire passer cette vision. Mais elle a fini par s’imposer et a débouché sur ce Centre Bruxellois de la Mode et du Design. Il s’agit en fait d’un projet mis en place par la Ville de Bruxelles et la Région de Bruxelles-Capitale avec le soutien du programme européen Objectif 2 et le Fonds européen de développement régional.
Le Centre est organisé sous la forme d’une asbl, qui a été fondée à la fin de 2010, les activités ayant effectivement débuté à la mi-2011. Mais, à partir de là, tout est allé très vite. Notre dotation annuelle pour 2011 était de 240.000 euros ; l’année passée, nous en étions à 1,2 million. La raison est très simple : toutes une série de politiques dispersées dans la région – et les budgets qui les finançaient – ont été concentrées ici pour créer une sorte d’agence unique active dans tout ce qui touche au design et à la mode, et de nouveaux partenariats publics et privés ont pu être tissés. »
Justement : c’est quoi votre métier ?
Alexandra Lambert : « Notre objectif, notre raison d’être, c’est de promouvoir le développement économique de la mode et du design à Bruxelles.
Derrière cet objectif général, nous avons en réalité cinq grandes missions. La première consiste à cristalliser tout ce qui concerne le support économique aux filières de la mode et du design. Car il s’agit bien d’une filière. Il était de bon ton il y a quelques années de réduire en quelque sorte le monde bruxellois du design et de la mode à « 200 designers et 200 stylistes ». Alors, nous avons confié au Dulbea – le Département d'Economie appliquée de l'Université libre de Bruxelles – le soin de faire une étude sur la réalité économique de cette filière. Et cette étude de 2012 a confirmé ce que nous savions, à savoir que ce secteur recèle des filières professionnelles infiniment plus riches. Le Dulbea a démontré que la mode et le design emploient 14.000 salariés à Bruxelles, 20.000 emplois si on inclut les emplois indirects. »
Quels sont les services que vous apportez concrètement pour remplir cette première mission ?
Alexandra Lambert : « Des services assez classiques mais conçus spécifiquement pour notre public :
- aide au développement de plans d’affaire,
- aide à la recherche de financements et/ou de subsides,
- organisation de séminaires professionnels de type économique pour que nos créateurs et designers puissent améliorer leur projet d’entreprise…
Nous travaillons aussi avec des coaches spécialisés qui accompagnent les porteurs de projets vers l’entreprenariat.
Autre point vraiment fondamental pour nous : essayer de connecter le monde économique au sens large avec le design. Trop d’entreprises négligent encore l’importance du design dans le développement de leurs produits ou de leurs services comme outil d’innovation et de différenciation ! Là, nous avons un programme qui vise à réunir trois compétences clé – management, ingénierie technique, design – au bénéfice d’un porteur de projet d’entreprise dont l’ambition est de mettre sur le marché des produits en série, le design étant là pour apporter la dimension innovation. Avec ce programme, nous voulons toucher toutes les filières de l’économie qui sont susceptibles d’innover par le design. En d’autres termes, décloisonner le design, ne pas le laisser dans sa seule dimension créative pour, au contraire, montrer son utilité pour la création de valeur dans l’économie productive. »
Les autres missions du Centre Bruxellois de la Mode et du Design ?
Alexandra Lambert : « Nous nous positionnons comme un Centre d’excellence dans les métiers liés au design et à la mode. Ce qui signifie concrètement que nous proposons un accompagnement professionnel aux jeunes diplômés – à Bruxelles, nous avons cinq écoles de mode et cinq écoles de design – et aux chercheurs d’emploi qui veulent travailler dans ces filières. On les aide par exemple à réaliser un CV créatif, un « lookbook » ou un portfolio de présentation car, dans nos secteurs, on ne postule pas pour un emploi de la même manière que dans les autres secteurs de l’économie…
Par ailleurs, nous permettons aux employeurs de faire transiter leurs offres d’emploi par chez nous et, s’ils le demandent, nous pouvons aussi les accompagner dans leurs recherches de compétences.
Puis, et c’est notre troisième mission, nous fonctionnons comme un centre dédié à l’innovation de tous les métiers liés à la mode ou au design. Une sorte de vitrine du savoir-faire bruxellois en la matière. C’est dans cet esprit que le Centre a édité un livre qui présente 75 métiers dans nos deux univers. Nous sommes également chargés de l’image de la mode et du design bruxellois, tant au niveau national qu’au niveau international. C’est dans le cadre de cette mission que nous programmons une dizaine d’événements nationaux par an et que le Centre participe à 6 grands événements internationaux. En l’occurrence, nous le faisons en collaboration avec Bruxelles Invest & Export, le service du Commerce extérieur et des Investissements étrangers. Petit détail intéressant je crois : une personne du Centre travaille un jour par semaine chez Visit Brussels, l’office bruxellois du tourisme pour positionner Bruxelles (aussi) comme une ville de mode et de design. »
Reste la cinquième et dernière mission…
Alexandra Lambert : « Qui n’est d’ailleurs pas la moins importante ! Développer le design collaboratif. C’est un nouveau champ du design que nous investissons depuis quelques années et qui vise à placer le design au service de problématiques sociétales. Par exemple, nous sommes occupés à monter un projet avec le ministère fédéral de l’Intégration sociale pour créer un mobilier de première nécessité pour les personnes qui sortent de la pauvreté, qui allie le travail d’urbanistes, de designers et de travailleurs de l’action sociale. Autre exemple, nous avons également travaillé avec Vivaqua pour développer une fontaine de distribution d’eau potable qui va être placée dans la ville. »
Au fond, est-ce que certaines de vos missions ne font pas double emploi avec des institutions existantes, par exemple votre activité auprès des demandeurs d’emploi dans vos secteurs ? Ou le fait d’aider des entreprises à trouver des subsides ?
Alexandra Lambert : « Non, notre organisation répond à la nécessité de développer une filière ultra spécialisée avec des professionnels qui connaissent les modèles d’affaires de nos deux secteurs, qui savent comment accompagner les créateurs qui sortent de nos écoles de mode ou de design. Il y a un langage spécifique. En plus, ce sont des secteurs qui demandent une veille permanente, nous devons pouvoir nous adapter en permanence aux évolutions de nos secteurs (qui sont très mouvants), ce que des « généralistes » ne sont pas en mesure de faire.
Un seul exemple : dans le monde de la mode, on travaille par saisons, quand on se lance, il faut connaître les investissements de départ, savoir quand se font les premiers retours de trésorerie, etc. Mais, dès que le projet prend une envergure d’intérêt régional, une notion qu’impulse.brussels a définie, ils prennent le relais et s’occupent de l’entreprise concernée pour répondre à des besoins qui vont au-delà de nos compétences, comme trouver un investisseur, ou avoir une intervention du fonds de garantie. Donc on est en quelque sorte un premier cluster de ces entreprises, puis on les réoriente ultérieurement selon leurs besoins vers le partenaire approprié. »
Plus d'information ?
MAD BRUSSELS (Mode and Design Center Brussels)
Centre Dansaert
7-11 Rue D’Alost
1000 Bruxelles
02 880 85 62
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