Elles se connaissent depuis l’adolescence. L’une a étudié le droit à l’ULB, l’autre l’économie à Saint-Louis et le tourisme à l’ULB. Un peu déçues par leurs études, elles décident de se lancer ensemble dans le défi de l'économie circulaire : l’ouverture du premier café zéro déchet à Bruxelles. Il s’appellera le Boentje Café et se situera sur la place Collignon à Schaerbeek.
Dites-nous en un peu plus sur la genèse de ce projet pour le moins anticonformiste ?
Victoria Lavenne et Sandrine Belgrado : au cours de nos Erasmus respectifs à Copenhague et à Montréal, nous avions pris l’habitude d’étudier dans de très agréables coffee houses. A notre retour à Bruxelles, nous n’avons pas retrouvé l’ambiance chaleureuse de ces cafés. Sur le ton de la plaisanterie, nous nous sommes alors dit qu’il ne nous restait plus qu’à en ouvrir un bien à nous dans le quartier de l’université.
L’envie a survécu à la fin de nos études, mais rester dans le milieu estudiantin ne nous tentait plus. L’idée a donc évolué vers un concept plus familial, plus signifiant. Nous avons envisagé plusieurs localisations, mais avons trouvé le local idéal à Schaerbeek, une commune qui connaît un essor nouveau. Seul problème: cette évolution est tellement nouvelle qu’elle ne figure pas encore dans les statistiques !
Quelle est la principale originalité de ce projet ?
V.L.&S.B. : Il s’agira du premier café à tous égards zéro déchet de Bruxelles ! Pour nous, pas question de déposer une dizaine de poubelles tous les soirs sur le trottoir alors qu’il existe des solutions par exemple pour faire du compost avec les déchets de la centrifugeuse ou pour réinjecter le marc de café dans l’économie circulaire afin de le transformer en substrat pour la culture des champignons!
Nous avons entièrement repensé le modèle du coffee house, un secteur où les produits à emporter sont nombreux et où l’on n’hésite pas à servir le café même consommé sur place dans un gobelet avec couvercle pour quelques minutes seulement d’utilisation. Voilà un type de déchets à supprimer. Nous nous interdisons aussi de créer des déchets en rendant durables tous les accessoires tels que les pailles qui seront en inox, les serviettes en tissu, ou en créant un système de consigne au sein du café qui accordera une réduction aux clients apportant leur propre contenant.
Les boissons seront servies dans des bocaux, LE déchet présent partout, dans toutes les maisons et l’un des déchets les plus
faciles à valoriser. Avec l’accord de l’AFSCA, nous allons travailler avec un laitier disposé à nous livrer dans des bouteilles en verre et un torréfacteur qui utilisera des bidons consignés. Notre menu privilégiera aussi les ingrédients zéro déchet. Si l’un d’entre eux, auquel on tient, est introuvable, nous appelons le fournisseur en ciblant ceux que la démarche écologique intéresse. L’accueil est bon: ils savent que le zéro déchet a le vent en poupe et sont donc prêts à évoluer. Certains nous proposent même de les rencontrer pour les aider.
Quant à la décoration intérieure du Boentje Café, elle sera entièrement réalisée à base de d’objets de récupération. En plus de cela, nous accueillerons des ateliers autour du zéro déchet dans une petite pièce à l’étage dans le but de rendre le zéro déchet accessible à tous. Nous bloquons un peu plus sur certains autres déchets, mais les filières nécessaires vont se mettre en place au fur et à mesure.
Quel a été le processus de mise en place de votre projet ?
V.L.&S.B. : A la fin de nos études, nous étions vraiment certaines de vouloir créer ce café, sauf que ce n’est ni en droit ni en économie qu’on apprend à faire de bons cappuccinos ! Du coup, nous avons consacré un an à travailler dans une dizaine de cafés différents pour en savoir plus.
Comme beaucoup, nous connaissions le 1819 par cette publicité où un candidat entrepreneur retombe en enfance face à la multitude et à la technicité de questions qui se posent à lui. Notre premier réflexe a donc été d’appeler. Nous y avons reçu un premier panorama global du monde de l’entreprise et avons été rassurées sur une série de points même si nous nous sommes rendues compte que nous ne connaissions rien de ce domaine, que nous ignorions ce qu’est un business plan, que nous n’étions nulle part malgré nos formations universitaires. Nous connaissions la théorie mais pas la réalité du terrain. Sur place, nous avons rencontré un conseiller extrêmement compétent. Il nous a fait une check list de tout ce à quoi il fallait penser. Le site internet est également riche en informations. Tout cela nous a donné un coup d’accélérateur énorme.
Le 26 janvier 2017, nous avons entamé notre première formation à l’entreprenariat chez Solvay Entrepreneurs qui dépend de la Solvay Business School. Mais il s’agit vraiment d’une formation à l’entreprenariat réservée à des porteurs de projets destinés à être développés avec l’aide d’un coach. Nous y avons suivi des cours axés notamment sur le marketing et nous y avons rencontré d’autres jeunes entrepreneurs passés par l’incubateur de Solvay Entrepreneurs. L’approche y est très pragmatique et ambitieuse. A Solvay, nous avons appris à créer un concept original et innovant, qui tient la route économiquement. C’est là qu’on nous a poussées à trouver un élément différenciant fort, qu’on nous a dit: «Faites quelque chose de bizarre, un ovni, quelque chose d’exceptionnel.» Nous avions pensé à un café durable. Nous sommes passées au zéro déchet.
Nous avions entendu parler du Greenlab, un autre incubateur plus axé sur le durable et les projets bruxellois. Nous avons participé aux sélections en mars 2017 en nous demandant si cette formation n’allait pas faire double emploi avec celle de Solvay Entrepreneurs. Mais dès la séance d’information, nous avons rencontré plusieurs porteurs de projets géniaux avec lesquels des collaborations étaient envisageables puisque nous sommes tous dans l’économie circulaire, nous sommes tous les maillons d’une même chaîne. C’est là par exemple que nous avons rencontré les filles de ‘Fais-le toi-même!’ qui réalisent nos travaux d’aménagement. Quant aux matières abordées, elles l’étaient toujours sous l’angle durable. Cela donnait un nouvel éclairage très bénéfique à notre projet.
En juillet enfin, nous avons rejoint le centre d'entreprises ‘Village Partenaire’ qui nous a permis de bénéficier d’un coaching de grande qualité dispensé par des coachs dévoués et compétents qui ne comptaient pas leur temps. Nous avons reçu une aide précieuse pour tout ce qui nous causait problème dont le plan financier. On nous a aidées à élaborer notre business plan, à le chiffrer. Du coup, une fois qu’il a été accepté, nous avons autorisé ‘Village Partenaire’ à le donner en exemple, histoire d’aider ceux qui nous succéderont.
Par ailleurs, nous avons aussi lancé une campagne de crowdfunding qui a atteint 100% de notre objectif en deux semaines et a atteint 190% à la clôture. Nous avons choisi de travailler avec Growfunding, une plateforme bruxelloise destinée aux entreprises ayant un impact social, écologique. Une fois de plus, un partenariat est envisageable avec la plupart des entreprises qui ont déjà eu recours à cette plate-forme.
Laquelle de ces aides vous a paru la plus déterminante ?
V.L.&S.B. : Il nous est impossible de répondre à cette question. Toutes ces aides ont eu un impact significatif sur notre projet. Elles sont réellement complémentaires. Tous ces incubateurs présentent un avantage commun: faciliter les contacts et la constitution d’un réseau. Connaître la bonne personne peut faire avancer les choses très vite! Nous avons d’ailleurs été vraiment très surprises de découvrir à quel point l’entrepreneuriat est soutenu à Bruxelles, combien ceux qui s’en occupent sont compétents et dévoués.
Quels conseils donneriez-vous à des candidats-entrepreneurs ?
Victoria Lavenne : Je leur conseillerais de s’entourer. Nous avons rencontré des gens qui voulaient garder leur idée secrète. Nous-mêmes étions un peu frileuses au début sans doute parce que nous avions un certain mal à assumer ce projet apparemment farfelu. Mais le fait de parler de notre projet lui a donné un nouvel élan. Il faut donc parler pour pouvoir être accompagné. Je pense que notre force a été de réussir à très bien nous entourer, à sans cesse chercher des conseils.
Sandrine Belgrado: Travailler dans le milieu dans lequel on veut se lancer est très utile. Nous ferons certainement des erreurs. Mais il y en a que nous ne ferons pas parce que nous avons déjà une expérience du secteur. Et nous savons que nous les aurions commises dans le cas contraire. Cette année de travail nous a aussi permis de procéder à une étude de marché permanente, de côtoyer la clientèle, de découvrir ce qui marche ou pas, de déterminer sur quels prix s’aligner. Quand nous avons commencé à bosser, nous savions à peine ce qu’était un espresso alors que maintenant, nous savons exactement quelle machine à café nous voulons. Beaucoup de choses ne s’apprennent pas à l’école. En plus, notre expérience du secteur nous a donné beaucoup de crédibilité auprès des banques.