Plongée dans un univers un peu sibyllin pour beaucoup, mais combien important pour notre quotidien et notre devenir, celui de la Taxonomie européenne née dans le sillage du ‘Green Deal’. Et rencontre avec Greenomy, une startup née en plein confinement et bien décidée à contribuer à la saine gestion de cette démarche capitale pour notre avenir.
Un système européen de classification des activités durables
Une petite explication de texte s’impose en préambule. C’est vers les sciences naturelles qu’il faut se tourner pour trouver la vocation originelle de la taxonomie: l’étude de la diversité du monde vivant. L’utilisation de ce terme s’est progressivement étendue à la classification dans d’autres sciences dont les sciences humaines.
Dans le cadre de son Green Deal visant à la neutralité carbone d’ici 2050, l’Union Européenne a donc élaboré un règlement ‘Taxonomie’. Le but est de déterminer les activités économiques pouvant être considérées comme ‘durables sur le plan environnemental’ ou ‘vertes’ afin de réorienter les investissements dans ce sens.
La tâche est immense. C’est ici qu’intervient Greenomy. «La Taxonomie européenne représente des milliers de données souvent inédites, détaille Sarah Lokman, co-fondatrice de la startup. Nous avons créé une plateforme où toutes ces informations sont codifiées et où nous proposons un workflow destiné à guider les entreprises pas à pas, à les aider à remplir leur taxonomie reporting et obtenir un score qui sera diffusé aux investisseurs, aux banques, aux autorités de la surveillance prudentielle et de régulation.»
Pallier une lacune
La Franco-Marocaine, Bruxelloise d’adoption depuis cinq ans, est en effet de l’aventure depuis le début en compagnie d’Elias El Mrabet et Alexander Stevens. Ce dernier, lorsqu’il se rend compte de la masse d’informations à traiter dans le cadre de la Taxonomie européenne et de l’absence de solution pour aider les entreprises à déchiffrer cette nouvelle réglementation, lance sa start-up Greenomy en 2021. «Dans de telles circonstances, convaincre les investisseurs, créer une équipe technique, inciter des conseillers, des spécialistes IT, de la vente, du marketing ou des relations publiques à partager nos valeurs et à travailler gratuitement pendant les six ou sept premiers mois a constitué un véritable challenge, précise l’ancienne consultante en gestion des risques financiers alors à la recherche d’une fonction plus en adéquation avec ses valeurs. Nous avons eu la chance de rencontrer des personnes aux backgrounds très divers mais toutes déterminées à exercer un impact réel sur la société à travers leur activité professionnelle. En moins de deux ans, nous avons réussi à créer un produit opérationnel utilisé par les banques.»
La confiance des ‘grands’
Très rapidement, le trio a réussi à conquérir la confiance d’investisseurs privés mais aussi publics, comme finance & invest.brussels. Début 2022, Euroclear est lui aussi entré dans le capital de Greenomy. «Cet acteur important du monde financier a d’emblée perçu tout notre potentiel, précise Sarah Lokman. Un tel investissement et une telle preuve de confiance nous ont donné accès à un réseau plus large, à des ressources que nous n’avions pas, mais nous ont aussi aidés à recruter, à élargir l’équipe ou plutôt la ‘famille’ Greenomy. Nous étions trois au départ. Nous sommes aujourd’hui une cinquantaine répartis un peu partout en Europe, et dans d'autres pays. Tout cela en même pas deux ans!»
Péchés de jeunesse
Pour autant, la startup n’a pas échappé à quelques difficultés vite surmontées comme l’indique Sarah Lokman: « Au début, nous positionner sur le marché belge n’a pas été facile mais nos différents partenaires au Luxembourg et aux Pays-Bas nous ont beaucoup aidés. Notamment, notre partenariat avec Deloitte, l’un des ‘Big Four’ mondiaux de l’audit financier et du conseil qui, aux Pays-Bas, travaille dans une perspective d’entrepreneuriat assez ouverte d’esprit. Cela nous a aidés à créer des liens avec la Belgique, à y avoir plus d’impact. Les différentes distinctions que nous avons remportées jusqu’ici nous ont aussi permis d’améliorer notre crédibilité vis-à-vis des partenaires, des clients et même des investisseurs. »
Autre souci : manager les équipes. «Il est arrivé un moment où celles qui nous accompagnaient depuis le début ont aspiré à un retour financier de leurs efforts, indique Sarah Lokman, ce qui était impossible avant que nous décrochions nos premiers financements. Nous avons donc dû trouver une autre équipe IT, alignée à notre vision des choses. Make It, une incroyable startup-studio bruxelloise installée à BeCentral, nous a beaucoup aidés à bien construire notre produit. Il y a toujours un mal pour un bien. C’est notre devise!»
Des ambitions internationales
Car Greenomy n’entend pas limiter ses activités au Benelux. Il est vrai que la startup bruxelloise, qui a peu de concurrence en Europe en dehors d’une société espagnole aux services moins étendus, compte déjà des clients en Allemagne, en France, et qu’un prix remporté récemment en Italie lui a ouvert les portes du Royaume-Uni, en dépit de sa sortie de l’Union européenne. « Ce pays est en train de créer sa propre taxonomie qui est fortement basée sur la Taxonomie européenne. Nous travaillons sur ce projet avec des institutions locales qui se sont montrées intéressées par notre potentiel, poursuit Sarah Lokman.
De même, nous travaillons avec d’autres pays non-Européens. Notre propos est de reprendre la structure, les fondations de notre travail effectué sur la Taxonomie européenne, de la répliquer à d’autres pays qui désirent disposer de leur propre taxonomie. Ceux-ci peuvent définir leurs propres critères plus compatibles avec leur marché, leur avancement en matière de durabilité. Nous possédons la structure, l’infrastructure nécessaires pour l’implémenter dans notre plateforme. Au début, nous désirions seulement proposer une solution de reporting de durabilité. Nous voulons désormais créer une infrastructure neutre collectant différentes données pour permettre aux entreprises, investisseurs, banques, assurances, etc de calculer leur reporting extra-financier et les accompagner dans leur plan de transition.»
Startup par essence
Les perspectives de développement sont telles que les dirigeants de Greenomy ambitionnent de passer de 50 à 80 collaborateurs d’ici fin 2023 et qu’ils ne réfutent pas la perspective de se muer en scale-up, voire en licorne dans un proche avenir. Mais il n’est pas question de changer de philosophie. Greenomy est une startup totalement satisfaite de son mode de fonctionnement : « Nous sommes en train d’investir dans la technologie mais aussi dans l’humain, précise Sarah Lokman qui s’occupe, entre autres, des RH. Même si ce que nous faisons est passionnant, cela reste un travail. Il faut pouvoir prendre du recul. Notre système est basé sur la confiance. Nos collaborateurs ont entre 24 et environ 50 ans. C’est ce qui marche avec la génération actuelle. Même si Greenomy change d’échelle, nous adapterons les process à notre vision et en tout cas, nous ferons en sorte de ne pas tomber dans le fonctionnement des entreprises traditionnelles !»
Petite voix intérieure
À la lumière des deux dernières années, Sarah Lokman n’a qu’un conseil à donner : croire à son intuition, sa petite voix, ou quel que soit le nom qu’on lui donne, quand elle dit ‘tu n’es pas à ta place, il faut essayer, et si ça ne marche pas, tu peux toujours revenir à ton point de départ.’ Elle précise : « Il faut faire ce qui est en adéquation avec soi, avec ses valeurs, ses principes fondamentaux. »
Interview: Catherine Aerts