De nos jours, de nombreux travaux tels que l’impression, l’envoi de mailings ou encore le conditionnement de produits sont sous-traités, le plus souvent à l’étranger pour des raisons que l’on pense… « économiques ». Pour de telles tâches, certaines entreprises étrangères semblent en effet défier toute concurrence. Mais c’est sans considérer tous les avantages et les coûts épargnés par une sous-traitance locale. Une autre voie est possible : le recours à une entreprise de travail adapté (ETA) !
Sous-traiter un projet par une entreprise de travail adapté offre deux grands avantages : d’une part, vous favorisez le travail de personnes en situation de handicap et, d’autre part, vous passez par des entreprises locales, ce qui aura un effet positif sur votre empreinte carbone et vos coûts de logistique notamment.
Pour en savoir plus sur cette sous-traitance entre entreprises voisines, nous avons interviewé Michaël Lans, chargé de communication et Business Developer à la Febrap, la Fédération bruxelloise des Entreprises de Travail Adapté.
1819 : pourriez-vous nous dire combien y a-t-il d’ETA en Région bruxelloise et comment elles fonctionnent ?
ML : Il y a exactement 13 Entreprises de Travail Adapté qui ont leur siège à Bruxelles. Elles emploient au total 2000 personnes, dont 1600 travailleurs en situation de handicap, et 400 encadrants.
Il s’agit de 13 entités différentes, qui sont autonomes commercialement parlant. Leur but est social et elles se comportent sur le marché de la même manière que n’importe quelle entreprise, avec une qualité de service similaire et un objectif de rentabilité afin d’assurer la pérennité des emplois qu’elles proposent à des travailleurs en situation de handicap. Leurs directeurs·trices d’ETA peuvent être qualifiés de « concullègues ». En effet, même s’il y a une certaine concurrence entre les différentes ETA, les directeurs·trices se connaissent très bien et peuvent collaborer ensemble sur certains projets (pour répondre à un gros marché par exemple).
1819 : Dans quels secteurs d’activité les ETA sont-elles actives ?
ML : Les ETA peuvent apporter leurs services dans environ 60 types de travail : conditionnement (alimentaire), assemblage électrique et mécanique, manutention, mailing, artisanat, restauration, nettoyage, menuiserie, gestion de documents, etc. La gamme est vraiment très large… Plusieurs centaines de PME et de grandes entreprises implantées dans la Région ont recours à une ETA chaque année : citons Solvay qui fait appel à une ETA pour le jardinage ou Brussels Beer Project pour la logistique et le stockage de certains produits. Pour la production ou la transformation de produit, nos ateliers sont beaucoup sollicités pour des petites ou moyennes séries, voire même parfois pour de gros volumes car ils sont en capacité de mobiliser une main d’œuvre importante.
1819 : Ne s’agit-il pas de concurrence déloyale, par rapport à des entreprises belges « normales » qui proposent le même service ?
Tout d’abord, il est important de souligner que les ETA ne sont pas en-dessous des prix du marché. Les subsides touchés par chaque ETA interviennent sur le salaire du travailleur, pour compenser le manque de productivité lié au handicap. Pour déterminer le montant de son intervention, le pouvoir subsidiant observe le job réalisé par le travailleur et si elle fait certaines choses plus lentement en raison de son handicap, le subside va être calculé pour compenser le différentiel. Cela évite un surcoût à l’employeur. D’ailleurs, toutes les entreprises « classiques » qui veulent engager un travailleur en situation de handicap peuvent avoir des aides similaires, basées exactement sur la même logique de « compensation ». Les tarifs sont donc similaires à ceux pratiqués par d’autres entreprises plus « traditionnelles ». Cette suspicion de concurrence déloyale ne touche donc pas les ETA, qui répondent véritablement aux exigences du marché. En réalité, le handicap c'est le problème des ETA : les entreprises souhaitent que l’ETA, en tant que sous-traitant, réponde aux exigences commerciales classiques. L'adaptation des postes, du temps de travail, etc. tout cela est géré par les ETA elles-mêmes. Le client reçoit donc un service classique. Parfois, les clients demandent quel objet social est derrière, car il y a une politique de responsabilité sociétale dans certaines entreprises (RSE) . Mais avant tout, il y a toujours une recherche de qualité/prix intéressant dans le travail fourni.
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1819 : Comment se portent les entreprises de travail adapté bruxelloises actuellement ?
Cela dépend des secteurs d’activité. Tout le monde sait par exemple que le secteur de l’impression est en déclin. Une ETA active dans ce secteur a d’ailleurs dû licencier 100 travailleurs, à cause de la diminution des commandes mais aussi pour d’autres raisons (crises Covid, augmentations barémiques, hausse des coûts énergétiques suite à la guerre en Ukraine, etc.). Nous travaillons d’arrache-pied à la Febrap pour tenter de replacer ces travailleurs dans d’autres ETA. C’est très important pour nous que ces travailleurs puissent retrouver de l’emploi au sein d’une ETA car leurs chances sont très minces de trouver une place dans le circuit classique.
Globalement, avec la désindustrialisation de Bruxelles et l’automatisation de certaines tâches, on observe une raréfaction des demandes en manutention simple. Raison pour laquelle les ETA se spécialisent pour répondre parfois à des demandes de niches. D’autres besoins émergent également et les ETA sont à l’affût des opportunités et elles adaptent régulièrement leurs offres pour y répondre. D’autres secteurs comme le jardinage se portent bien, car ils sont moins dépendants de la conjoncture économique.
1819 : Comment fonctionne une ETA en interne ?
Il y a 2 profils au sein d’une ETA : les encadrants et les travailleurs en situation de handicap.
Les encadrants ont généralement une compétence métier (ex. : imprimeur) et/ou une compétence ‘sociale’ qui permet d’assurer la qualité du travail et le bien-être des travailleurs.
Les travailleurs en situation de handicap ont tous ont une reconnaissance donnée par le service Phare de la COCOF. C’est donc le pouvoir public qui va décider qui répond aux conditions de handicap par rapport à l’emploi pour pouvoir travailler en ETA. Le cheminement est celui-ci : la personne va voir la Cocof, qui va statuer en fonction du handicap. Soit la personne peut travailler dans le circuit classique moyennant certaines adaptations et interventions financières, soit il y a un besoin d’un encadrement psycho-médico-social (PMS, ex. : problème psychiatrique, retard mental léger…), et la Cocof oriente alors vers les ETA. C’est d’ailleurs quelque chose d’important à savoir pour toutes les entreprises : outre le recours à une ETA pour un certain travail à réaliser, les entreprises peuvent aussi recruter des personnes en situation de handicap mais qui n’ont pas de besoin d’encadrement PMS, grâce à une aide du service PHARE.
1819 : Finalement, quel est l’intérêt pour une entreprise de passer par une ETA plutôt qu’un autre acteur?
Tout d’abord, cela permet de garder l’activité au niveau local plutôt que d’aller loin pour certains travaux. C’est de l’outsourcing local. Comme le travail demandé est fait près de chez elle, l’entreprise garde le contrôle sur la production. Et puis évidemment, il y a la recherche de sens : le supplément d’âme dans le travail effectué est clairement apprécié par les entreprises.
Là où les ETA sont très fortes, c’est dans la mise en chaînes d’actions simples à réaliser. Je veux créer du thé, j’ai tous les ingrédients et un réseau de distribution, mais comment je fais pour la production ? Les ETA vont pouvoir entrer dans la danse pour produire ou transformer le produit envisagé.
Il faut savoir que beaucoup d’entreprises ont déjà eu recours à une ETA dans leur processus de production. Sur 10 produits en supermarché, 3 sont passés par une ETA à une étape de la production (souvent pour un assemblage ou pour le conditionnement final) ! C’est peu connu car ce type de service en BtoB est peu visible.
1819 : Comment une entreprise qui a un besoin spécifique pouvant être rempli par une ou plusieurs ETA peut-elle s’y prendre concrètement ?
L’entreprise peut tout simplement contacter la Febrap, qui va analyser son/ses besoin(s) et lui envoyer la liste des ETA qui sont aptes à réaliser le travail à réaliser. L’entreprise pourra lors faire son choix en fonction des devis proposés par les différentes ETA.
1819 : Dans certains cas, les ETA peuvent-elles se déplacer sur le lieu de production de l’entreprise?
Tout à fait ! Il y a une possibilité de demander à ce que l’ETA envoie une équipe pour travailler directement dans l’entreprise cliente. Un exemple concret : une entreprise qui produit du massepain pour les fêtes fait appel à des équipes d’ETA pour renforcer ses équipes lors de pics de production. Ici, il s’agit d’une demande très saisonnière qui exige des machines spécifiques qui se trouvent dans les ateliers du client, avec un besoin de quelques personnes pendant quelques jours. Ce travail se fait via une ETA, dans les murs du client et avec les machines du client. Nous notons d’ailleurs de plus en plus de demandes pour ce type de service sur Bruxelles !
La Febrap a développé le site www.onsadapte.be, à destination de toute entreprise qui souhaite en savoir plus sur les entreprises de travail adapté. On y retrouve notamment des témoignages d’entreprises ayant fait appel à une ETA, une liste complète des secteurs d’activité dans lesquels les ETA sont actives, une présentation de chacune des ETA bruxelloises avec leurs contacts commerciaux, les coordonnées de Michaël Lans avec qui vous pouvez échanger sur une collaboration envisagée, etc.
Interview: Hugues Luyckfasseel, 1819