Delta Q a beau ne pas compter parmi les marques les plus connues du grand public, la société bruxelloise excelle lorsqu’il s’agit de réduire l’empreinte carbone des bâtiments de plus de 5.000m². Cette entreprise bruxelloise résolument dans l’air du temps méritait bien un portrait, tout comme sa CEO Khadija Nadi, une «patronne» solidement ancrée dans son époque.
Le sourire éclatant, le regard pétillant, Khadija Nadi se confie volontiers. Elle détaille un parcours professionnel et personnel foisonnant qui l’a amenée voici quelques mois à peine à la tête de Delta Q, une société née dans le giron de 3E mais qui vole désormais de ses propres ailes.
Les vertus des PME
Elle narre avec enthousiasme les sept ans passés au début de sa carrière chez Devan, une PME très innovante dans le domaine du textile intelligent qui en quelques années a connu « une belle croissance en bon père de famille » commente-t-elle avant de lister les différents postes qu’elle y a occupés, d’assistante marketing à responsable commerciale en Europe principalement. Elle constate : « Les PME sont moins à la mode que les multinationales ou les startups. Pourtant, elles offrent à leurs collaborateurs de nombreuses opportunités dans le cadre d’une structure professionnelle, ce qui est loin d’être toujours le cas dans une startup. Pour moi, ce fut donc un excellent choix qui m’a parmi de m’essayer à différentes responsabilités.»
Dans les arcanes d’une multinationale
Khadija Nadi revient aussi sur son expérience professionnelle suivante, au sein de la multinationale AkzoNobel qui occupait à l’époque 55.000 personnes à travers le monde et qu’elle a rejointe par curiosité, pour découvrir de l’intérieur le fonctionnement d’un tel mastodonte. « Un sacré changement d’échelle ! Initialement, je ne comptais y rester que peu de temps, mais j’y ai finalement passé sept ans. » Une période durant laquelle elle découvre différents marchés, de multiples fonctions mais aussi divers cas de figure : le 'business development' à l’international qui l’a entraînée aux quatre coins du monde, l’operating management lorsqu’il s’agit d’améliorer des résultats négatifs, de constituer une équipe plus performante, et bien sûr une joint-venture en Espagne entre différentes parties où tout était à faire, du recrutement des commerciaux et la constitution des équipes, à la mise en place des processus opérationnels. « C'était un projet d’un petit business dans une très grande entreprise avec un côté intrapreneurial que j’ai bien aimé et qui m’a pas mal aidée pour ce que je fais aujourd’hui. »
Le temps de la réflexion
Car le parcours professionnel de Khadija Nadi connaîtra encore un virage important qui commence par un break de quelques mois, le temps d’un retour aux sources au Maroc, patrie de ses parents et de son fils adoptif. Le temps aussi d’une remise en question: « Dans le petit village montagnard où je séjournais, à mille lieues des tours du quartier des affaires d’Amsterdam auxquelles j’étais habituée, il ne pleuvait guère plus de deux jours par an. Dans cette société agricole, les parents n’arrivaient plus à gagner assez d’argent pour envoyer leurs enfants à l’école, leur acheter du matériel scolaire etc. Du coup, le changement climatique est devenu très concret pour moi ! Cela a remis en question le ‘modèle Bill Gates’ qui était le seul qu’elle connaissait jusque-là et selon lequel il faut gagner de l’argent pour pouvoir ensuite en redonner. »
Effective altruism
À son retour en Europe, la jeune femme aspire à autre chose. Elle se tourne vers l’entrepreneuriat qui la tente depuis longtemps et qui lui permettra de mieux concilier vie professionnelle et vie privée. Reste à trouver un créneau dans lequel elle pourra donner le meilleur d’elle-même tout en satisfaisant ses préoccupations éthiques. L’ ‘effective altruism’, un courant philosophique récent qui encourage à considérer de manière rationnelle les 80.000 heures constituant une carrière professionnelle pour faire en sorte que le retour social sur investissement soit le plus élevé possible, lui apporte un début de réponse. « Je n’avais plus tout à fait 80.000 heures devant moi, mais j’ai rapidement compris que je pourrais aider les autres, en particulier les entrepreneurs qui avaient ce que j’appelais des 'projets positifs’, autrement dit des entrepreneurs sociaux, des sociétés à impact etc, à avoir plus d’impact. » C’est dans ce contexte que Khadija Nadi rencontre et collabore avec Piet Colruyt, administrateur de 3E et par ailleurs fondateur de l’Impact House et de son fonds d’investissement Impact Capital. Particulièrement sensible à la réduction de CO2, elle découvre avec étonnement que les bâtiments sont responsables de 40% de l’impact global en matière de CO2. Il se fait que 3E possède en son sein Delta Q, une startup vouée à la réduction de l’empreinte carbone des bâtiments de plus de 5.000m² (bâtiments de bureaux, shopping centers, etc) qui est sur le point de prendre son indépendance. Khadija Nadi en rejoint le conseil d’administration en janvier 2020 et en prend la direction en septembre. «Nous n’avons pas la prétention de constituer LA solution pour réduire l’empreinte CO2 de 55% afin de répondre aux exigences du Green Deal européen, mais à l’aide des logiciels disponibles, nous pouvons aider nos clients à économiser les premiers vingt pourcents de réduction. Si grâce à la technologie, on peut arriver à faire des choses géniales, il ne faut pas hésiter!»
À la tête d’une équipe performante
Pour autant, il ne s’agit pas d’un marché facile. Depuis Bruxelles où la société est née et a décidé de rester implantée «parce que Bruxelles est un vrai centre névralgique et a un côté cosmopolite et polyglotte qui nous ressemble», Delta Q s’adresse à des gestionnaires de portefeuille immobiliers européens et asiatique de très grande taille. Dans un bâtiment, il y a beaucoup d’interlocuteurs ce qui rend la tâche plus ardue. Il n’empêche, la jeune femme s’épanouit dans cette structure où tout était à faire sur le plan organisationnel et où elle évolue au milieu d’une équipe aussi internationale que talentueuse largement constituée de professionnels expérimentés arrivés à un moment de leur carrière où ils désirent s’impliquer dans un projet ayant du sens ou poussés par leurs enfants attentifs à la problématique environnementale. À propos de son équipe, elle dit : « Je veux des gens meilleurs que moi partout dans l’entreprise. Il est important qu’ils s’y sentent bien tout simplement parce que c’est ainsi qu’ils seront performants. » Et qu’importe si son rôle passe dans la même journée du stratégique au très opérationnel : «En fait, le job de CEO consiste principalement à faciliter, aider, avec la pression en plus à cause des responsabilités. Les succès, on a envie de les laisser à l’équipe mais quand ça va mal, c’est au CEO de prendre la main. Le job est de gérer des problèmes tous les jours. On doit donc toujours être préparé à gérer des choses qui doivent être résolues. Pour le moment, je me sens bien à ma place mais dans quelques années, Delta Q aura peut-être besoin d’un autre type de CEO et c’est très bien, j’y suis totalement ouverte.»
Tomber amoureux du problème
On s’en doutera, Khadija Nadi n’est pas de celles et ceux qui croient aux plans de carrière rigides et mûrement réfléchis. « Il y a différentes façons d’aller du point A au point B. Chacun fera en fonction des circonstances. Qu’importe que l’on soit salarié, entrepreneur ou même intrapreneur dans une grande entreprise. L’important est la motivation sous-jacente qui incite à faire un choix plutôt qu’un autre. Veut-on gagner de l’argent, créer de l’impact ou être flexible ? Il est vraiment important d’être honnête avec soi-même. C’est le secret pour bien faire les choses. Je ne crois pas au sacrifice de cinq ans de vie parce que c’est important pour l’étape suivante. » La jeune femme s’inspire ainsi des entrepreneurs sociaux pour donner un ultime conseil: il est souhaitable de tomber amoureux du problème. « On se lance dans l’entrepreneuriat pour résoudre un problème. Et cette solution risque bien d’être très différente de celle qu’on avait imaginée initialement, sans que cela engendre la moindre frustration. J’ai donc envie d’inciter les futurs entrepreneurs à tomber amoureux du problème et je leur conseillerais de ne pas trop se ‘prendre la tête’ avec des plans de carrière qui n’ont peut-être pas lieu d’être.»
Interview : Catherine Aerts
Il y a différentes façons d’aller du point A au point B. Chacun fera en fonction des circonstances. Qu’importe que l’on soit salarié, entrepreneur ou même intrapreneur dans une grande entreprise. L’important est la motivation sous-jacente qui incite à faire un choix plutôt qu’un autre. Veut-on gagner de l’argent, créer de l’impact ou être flexible ? Il est vraiment important d’être honnête avec soi-même. C’est le secret pour bien faire les choses.
Khadija Nadi