« Je suis entrepreneur social, créateur d’entreprises sociales depuis cinq ans. J’ai fait la liste de toutes mes idées. Le problème est qu’elle s’allonge plus vite que celle des structures que j’ai eu l’opportunité de mettre sur pied », sourit Martin François, un jeune trentenaire qui a tout de l’entrepreneur social compulsif et qui a accepté de se confier sur quelques-unes de ses expériences les plus réussies.
Avant toute chose, éclairez-nous sur le concept d’entreprise sociale.
Martin François : Il y a de nombreuses définitions de l’entreprenariat social. Pour moi, sa finalité première est de répondre à une problématique sociétale, qu’elle soit sociale ou environnementale, et l’argent ne constitue qu’un moyen. Dans l’entreprise classique en revanche, la finalité première est de gagner de l’argent, les activités à connotation sociétale ne constituant qu’un corolaire éventuel. C’est donc une question de finalité ou de moyens. L’entreprenariat social correspond à mon aspiration à changer ou améliorer le monde, à répondre à des besoins sociétaux.
Quel a été votre itinéraire ?
M.F. : Je suis un peu touche à tout: j’ai étudié autant l’anthropologie que la gestion de l’environnement pour en arriver à la gestion de l’entreprise sociale. L’idée d’être entrepreneur s’est construite progressivement. J’ai vécu une première expérience professionnelle très réussie au sein de l’asbl ‘Les Petits Riens’ où j’étais responsable d’une quarantaine de personnes travaillant dans les ateliers de réparation. J’ai beaucoup apprécié ce passage dans une grande entreprise sociale, mais je n’ai pas tardé à me rendre compte que j’avais besoin de beaucoup de liberté, de possibilités de création. Depuis que je suis adolescent, j’ai d’ailleurs toujours aimé monter des projets. Cela fait partie de ma personnalité. J’en suis donc arrivé à la conclusion que le statut d’entrepreneur me correspondrait mieux. A l’issue de ma mission aux ‘Petit Riens’, j’étais décidé de me lancer. Actuellement, j’ai trouvé un équilibre idéal.
Parlez-nous de quelques-unes de vos créations.
M.F. : Ma première expérience en la matière date de 2010, lorsque j’ai monté ScoutOnWeb avec mon frère. A cette époque, j’étais encore tout jeune !
Toujours dans le domaine des nouvelles technologies, nous proposons avec AlternaWeb un outil de création de site web en 1 clic destiné au secteur associatif car les asbl ne disposent pas toujours en interne des compétences nécessaire à la gestion efficace d’un site web. Nous avons eu l’idée de séparer complètement la partie informatique de la partie rédaction de contenu qui reste de la responsabilité des dirigeants de l’association. Il leur suffit d’un clic sur notre site pour créer leur propre site web. Tout est installé et ils n’ont plus qu’à éditer les cinq à dix pages de rédactionnel nécessaires. C’est aussi facile à utiliser que facebook ! Une fois le site créé, la personne en charge de celui-ci, peu importe son âge ou sa formation, sera en mesure de modifier du contenu à sa guise aussi simplement que s’il s’agissait de rédiger un document en Word. Nous nous inscrivons donc bien dans cette dynamique consistant à œuvrer pour renforcer, construire le secteur de l’entreprise sociale. Il s’agit parfois, comme ici, de services annexes tels que les nouvelles technologies. Parfois le propos est plus environnemental.
C’est le cas de Permafungi par exemple qui exploite une ressource jusqu’ici non valorisée: le marc de café. Actuellement, le marc de café est très mal utilisé, il finit à l’incinérateur ou en décharge. C’est vraiment une ressource gaspillée. Nous proposons de le transformer en champignons, de faire quelque chose sur le plan économique à partir de ce que les gens considèrent comme sans valeur. Le déchet devient donc ressource. Et le développement est infini: tant qu’il y a du marc de café, on peut produire!
Avec WonderPoule nous désirons faire passer de manière sympathique et innovante le message ‘je suis en ville, je peux avoir des poules chez moi pour réduire mes déchets’. A ceux qui ne savent pas comment faire mais qui aimeraient avoir des œufs frais tous les matins tout en réduisant leurs restes de repas et autres déchets organiques, nous proposons des packs tout compris. Nous les guidons de A à Z en partant du principe que c’est possible pour tout le monde, sauf que les gens n’y pensent pas forcément et ne savent pas comment procéder.
Comment s’est déroulé le processus de création de ces différents projets?
M.F. : Je les ai tous montés en collaboration avec d’autres. Dès que je rencontre des personnes qui se révèlent adéquates pour s’associer à l’une de mes idées et que je dispose de l’argent nécessaire pour concrétiser cette idée, je lance le projet.
Entre l’idée et la concrétisation de celle-ci, il m’a chaque fois fallu entre trois et six mois et j’ai été confronté à de nombreux défis. Le plus difficile est de trouver les bonnes personnes, compétentes et qui professent les mêmes valeurs, la même volonté de changer le monde. Il s’agit de profils un peu hybrides, de personnes possédant des connaissances en gestion mais qui partagent ma vision de ce que devrait être l’économie et mes réflexions sur l’économie alternative. Trouver de tels profils est très compliqué. Pour les dénicher, disposer d’un réseau est essentiel. J’essaie donc de développer le mien en permanence. Je suis encore jeune, mais le fait d’être co-créateur de PermaFungi par exemple donne une certaine crédibilité.
Autre difficulté: les différentes aides disponibles sont destinées avant tout aux entreprises économiques traditionnelles. Or l’économie sociale est un peu hybride. Il n’est donc pas toujours facile de trouver le bon canal pour y accéder. L’administration est certes de plus en plus ouverte vis-à-vis des asbl exerçant une activité économique, mais au début on décèle quand même un peu de méfiance. Dans l’imaginaire collectif, la distinction est encore trop importante entre SPRL, ASBL, SA, alors que le statut ne définit finalement pas grand-chose, que les choses ne sont plus aussi binaires.
Justement, parlez-nous des aides dont vous avez bénéficié.
M.F. : J’ai toujours beaucoup apprécié les aides proposées par la Région Bruxelloise. Le site EcoSubsiBru devenu subsides.brussels qui recense toutes les aides de la Région Bruxelloise de même qu’impulse.brussels (devenu hub.brussels) sont d’excellents outils. Grâce à eux, l’entrepreneur comprend vite ce qui peut l’aider.
Concrètement, PermaFungi est une entreprise d’insertion agréée comme telle par la Région Bruxelloise. A ce titre, nous percevons une subvention annuelle pour le travail d’accompagnement social qui y est effectué.
Pour WonderPoule, nous avons bénéficié d’une aide ponctuelle d’aide au démarrage suite à l’appel à projet Be.Circular de la Région Bruxelloise.
Nous avons aussi pu bénéficier de soutien dans le cadre des aides économiques de la Région: grâce aux aides à la consultance, nous avons pu obtenir une intervention de 50% dans les honoraires assez coûteux d’un expert allemand, le roi du champignon en Europe, venu nous aider pour résoudre un problème technique rencontré par PermaFungi.
En outre, nous avons aussi obtenu des aides à l’investissement.
Quels sont vos projets?
M.F. : Je vais m’associer avec deux jeunes femmes pour construire une fabrique à innovations sociales, un lieu où grâce à la technologie de réalisation concrète et rapide des idées, on va pouvoir construire plusieurs entreprises sociales simultanément chaque année. Comme je vous l’ai dit, je suis un peu trop seul pour concrétiser toutes mes idées. Je vais donc essayer de créer une structure me permettant d’en faire plus. On accueillera dans notre fabrique des entrepreneurs qui construiront les choses avec d’autres entrepreneurs que l’on recrutera. C’est plus que du conseil, c’est de la co-construction.
Quels conseils prodigueriez-vous à de futurs entrepreneurs?
M.F. : Je dirais à des aspirants entrepreneurs: prenez le temps nécessaire pour trouver de bonnes personnes. Renseignez-vous et profitez des aides de la Région Bruxelloises qui sont nombreuses. Il y a moyen de trouver de l’argent pour démarrer un projet. Et surtout passez au concret dès que possible, proposez votre produit ou votre service très rapidement même s’il n’est pas totalement finalisé. C’est en vendant et en testant que l’on vérifie si un concept a du potentiel, et cela motive. Donc, allez dans le concret dès que possible.