Le seuil du 45 rue du Berger à peine franchi, on est accueilli par de délicieuses effluves et par le sourire de la maîtresse des lieux en train de s’affairer dans sa vaste et lumineuse cuisine. Pas de doute, on est dans un lieu de convivialité et de partage. Plus précisément dans la Cuisine de Flore où depuis 2008 se dispensent cours de cuisine pour particuliers et teambuildings d’entreprises.
À propos de cette success story entrepreneuriale longue de bientôt quinze ans, Flore Pincemin observe : « La Cuisine de Flore n’est plus une startup ! C’est une petite entreprise persévérante au niveau local. »
Un soupçon de passion
C’est pourtant en France que se situent les prémices de cette pépite 100% bruxelloise. Quand la jeune Flore, qui a grandi à Paris entre un papa entrepreneur et une maman cuisinière émérite, qui a enchaîné des études de langues puis de commerce « pour faire comme son frère et sa sœur », puis qui a entamé une carrière prometteuse mais peu enthousiasmante dans le marketing, décide de changer radicalement d’orientation pour se consacrer à sa passion de toujours : la cuisine. Et d’accompagner son mari dans son déménagement à Bruxelles pour des raisons professionnelles. « La vogue des cours de cuisine avait déjà touché la France mais pas encore la Belgique, rappelle Flore Pincemin. J’étais jeune, nous n’avions pas encore d’enfant… Je me suis dit que c’était le moment ou jamais d’essayer.» Mais avant de se lancer, la jeune femme décide de décrocher une qualification professionnelle en cuisine. Elle passe donc plusieurs mois en stage dans les prestigieuses cuisines du Ritz à Paris. Elle en sort confortée dans ses choix : « La cuisine du Ritz est une grande cuisine dirigée par des chefs professionnels. Donner des cours de cuisine est très différent, favorise les contacts. Il y a beaucoup plus de convivialité chez moi que dans une cuisine professionnelle. »
Une pincée de polyvalence
Il ne reste plus à La Cuisine de Flore qu’à se trouver un toit à la mesure de ses projets. Ce sera d’abord rue de l’Arbre Béni. «Comme tous les débuts, les premiers temps ont été à la fois un peu chaotiques et très passionnants, commente Flore Pincemin. On apprend à tout faire, y compris poser des carrelages sur les murs, monter la cuisine, élaborer le business plan, mener une étude de marché. J’ai même interrogé les passants en rue pour vérifier si ce que j’avais en tête pourrait correspondre à l’attente du public. Cela part dans tous les sens. Mais c’est cela qui fait la richesse d’un tel projet. Et quand on a l’âme entrepreneuse, tout est possible. »
Au début de son parcours bruxellois, la jeune femme a été heureuse de pouvoir bénéficier des conseils du 1819 qu’elle a consulté régulièrement. « J'ai été vraiment bien épaulée, assure-t-elle. Notamment en matière juridique car, venant de l’étranger, je n’étais pas au fait de tous les détails de la législation belge. » Un prêt du Fonds de Participation* permettra aussi à la Cuisine de Flore de prendre son envol. Par la suite, la jeune entrepreneuse obtiendra les financements nécessaires auprès des banques. «Ma formation en école de commerce leur a manifestement inspiré confiance», sourit-elle.
*régionalisé en 2011 et compétences transférées à finance&invest.brussels
Une mesure de pragmatisme
Depuis bientôt quinze ans donc, Flore partage sa passion pour la cuisine avec une clientèle dont le profil s’est affiné au fil du temps. « Je me concentre sur ce qui fonctionne bien et est le plus rentable, confie-t-elle. Je me limite aux cours de cuisine pour adultes, aussi bien pour les particuliers en petits groupes, ma cible initiale, que pour les entreprises très friandes de teambuildings culinaires.» En deux heures chrono, Flore invite les participants de ces incentives à cuisiner et déguster des recettes rapides, faciles, inattendues et facilement reproductibles. Elle leur propose aussi un challenge culinaire ludique où il est question de monter une crème chantilly le plus rapidement possible, de reconnaître des épices ou encore de découvrir des ingrédients dans une préparation. Et pour la confection du dessert, elle n’hésite pas à les opposer en mode Top chef/Master chef. «En deux mots, je ne cuisine pas, je laisse mes clients cuisiner», résume-t-elle avant d’ajouter que la formule fonctionne très bien parce que la cuisine est fédératrice et conviviale.
Une bonne dose d’organisation
Accueillir aussi professionnellement et chaleureusement des petits groupes de 6-8 personnes que des assemblées de 60-70 convives demande une organisation rigoureuse et une intendance sans faille. Mais Flore Pincemin l’assure : « Notre staff a l’habitude. Il maîtrise la gestion de tels événements qui doivent tourner, être carrés. Il est très présent et très bienveillant avec les participants. » Car Flore, si elle est l’âme et la cheville ouvrière de sa Cuisine, ne peut évidemment pas tout gérer toute seule. Pour faire face à la flexibilité inhérente à son activité, elle a donc mis en place une structure à la fois efficace et originale : des chefs indépendants pour animer les ateliers, des contrats étudiants pour l’accueil et l’encadrement, Katia, son bras droit au sein de l’atelier, pour l’aider à gérer les livraisons et les plannings du staff, et une assistante personnelle basée à… Madagascar. «Dans le milieu de l’entrepreneuriat, cela se fait beaucoup, assure-t-elle. Pourquoi Madagascar ? parce que le coût est moins élevé, qu’on y parle français et que le décalage horaire est négligeable. Claire et moi, qui travaillons ensemble depuis huit ans, ne nous sommes jamais rencontrées mais nous nous téléphonons tous les jours. Claire est responsable du contact client entre le moment où le contact est pris et celui où la réservation est enregistrée. Elle envoie les devis, transfère toutes les informations. »
Un trait de résilience
Cette organisation un peu particulière l’a aidée à surmonter la crise du covid 19, « d'autant plus difficile pour nous que nous n’étions pas considérés comme un établissement Horeca, mais comme un acteur de l’événementiel. La Cuisine de Flore a donc fermé pendant un an, puis de nouveau entre fin novembre 2021 et fin février 2022. Heureusement que nous avions les reins solides, une bonne trésorerie. Nous avons aussi pu bénéficier des aides de l’Etat qui ont été vraiment précieuses et j’ai obtenu des reports de crédit. Enfin, sur le plan personnel, je me suis recentrée sur ma famille et sur mes quatre jeunes enfants qui étaient privés d’école. J’ai donc eu de quoi m’occuper. »
Depuis, La Cuisine de Flore a rallumé ses fourneaux et recommencé à accueillir de nombreux convives même si tout n’a pas été simple. « La sortie de crise a été très bizarre, très compliquée, commente Flore Pincemin. Je pensais trouver facilement des collaborateurs, et puis non. Quatre mois plus tard, j’avais de nouveau l’embarras du choix… C’est à n’y rien comprendre. »
Une part de prudence
Il n’empêche, la jeune femme envisage l’avenir avec un optimisme prudent : « Ce métier me plaît par son côté entrepreneurial avec beaucoup de gestion, par le rôle prépondérant de la cuisine, et par l’importance du côté relationnel. Et puis Bruxelles est tellement riche, multiculturelle. J’ai réuni jusqu’à treize nationalités différentes autour d’une table de quinze convives ! Nos enfants grandissent ici, mon entreprise grandit ici. J’espère donc que la Cuisine de Flore a de beaux jours devant elle mais on ne sait jamais. »
Quelques graines de sagesse
Elle tient en tout cas à partager son sentiment dicté par l’expérience : « Je crois qu’il faut un peu d’audace pour se lancer. Mais qu’il faut bien se préparer, se poser toutes les questions, envisager beaucoup d’éventualités, ne pas compter les heures. Cocher toutes ces cases représente beaucoup de travail. Mais si on a pris le temps de le faire, il faut y aller. C’est comme pour l’organisation d’un gros événement : la préparation est importante en amont mais une fois que c’est fait, on y va. Oui, il y a des surprises, des aléas, mais je crois vraiment que quand on fait les choses bien, on est récompensé d’une manière ou d’une autre. »
Interview: Catherine Aerts