Le canal à quelques encablures de la Porte de Ninove. Une grande bâtisse ensoleille la rive molenbeekoise de la voie d’eau avec sa façade couverte de fresques marines, son rez-de-chaussée voué à la restauration et son étage réservé au co-working. C’est le Phare du Kanaal. A la barre Hanna Bonnier, une capitaine aussi souriante qu’énergique.
Une jeune Française à peine trentenaire chef d’entreprise à Molenbeek, c’est inattendu. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vous et votre parcours ?
Hanna Bonnier : Diplômée en droit et en sciences politiques, j’ai enchaîné un stage aux Nations Unies et un stage à Bruxelles au service européen de l’action extérieure dans la division prévention des conflits et construction de la paix. Ce début de carrière au contact de la diplomatie internationale ou européenne m’a énormément apporté en matière de rencontres de publics différents. Je me suis donc dit que si le côté très abstrait de mon job me frustrait mais que la création de liens et le développement de projets continuait à me plaire, il était peut-être temps pour moi de me lancer à une échelle plus locale.
Et pouvez-vous nous en dire un peu plus aussi sur votre projet ?
H.B. : L’idée m’est venue d’une réflexion: pourquoi n’existe-t-il pas à Bruxelles de plate-forme de co-working couplée avec un espace de restauration et d’événementiel? Bruxelles regorge d’espaces qui, à mon sens, correspondent peu à cette nouvelle génération de travailleurs indépendants à la fois extrêmement flexibles et pas très riches. Je voulais donc m’adapter à ce profil, créer un espace qu’on investit quand on veut, où le travailleur ne paie qu’au prorata de son occupation. Financièrement, cela implique pour nous moins de sécurité: les utilisateurs ne s’engagent pas alors que nous devons assumer les frais fixes, un loyer, du personnel, etc. C’est pourquoi le café-restaurant est si important: entre activités horeca traditionnelles, location de l’espace et organisation d’événements, c’est lui qui soutient financièrement le projet. Cela correspond en outre à notre conception du co-working: en plus de proposer des bureaux, du wifi, du café et du thé à volonté, nous offrons aussi la possibilité de rencontrer des gens et de créer du lien et un réseau.
Pourquoi à Bruxelles et plus précisément à Molenbeek ?
H.B. : A mon arrivée à Bruxelles il y a trois ans et demi, j’avais 26 ans. J’ai découvert une ville et un état d’esprit qui me correspondaient, où la hiérarchie est beaucoup moins contraignante qu’en France. Il est beaucoup plus facile d’y rencontrer des entrepreneurs qui ont réussi. Or, quand on envisage de se lancer, de tels échanges sont très importants, très enrichissants. Et puis les structures d’accompagnement proposées aux entrepreneurs jeunes et moins jeunes sont gratuites et assez faciles d’accès pour peu que l’on soit vraiment motivé.
Quant à Molenbeek, j’y suis arrivée un peu par hasard. La seule recherche de l’espace idéal m’a pris environ cinq mois de démarches personnelles et via le service de recherche de surfaces commerciales d’Atrium. Compte tenu de ma cible et du baromètre d’Atrium, j’avais d’abord privilégié des communes telles qu’Ixelles, Saint-Gilles ou le centre où je pensais que les free lances se concentraient. A la faveur d’une promenade, j’ai été séduite par ce bâtiment à la façade ornée d’une fresque. Malgré les panneaux qui le signalaient à louer, il ne figurait sur aucun site Internet ni nulle part ailleurs. J’ai visité les lieux. Je recherchais un grand espace sur deux niveaux. Tout ce que j’avais vu jusque là était trop cher, trop petit ou mal distribué. Ici, l’agencement était parfait. Une question me taraudait cependant: j’ai un lieu, mais mon projet trouvera-t-il sa place dans le quartier? J’ai donc rencontré une foule d’acteurs locaux, des voisins, des représentants des institutions publiques ou d’asbl du quartier qui m’ont fait visiter Molenbeek. Petit à petit, j’ai acquis la conviction que ce quartier convenait parfaitement au public visé tant pour l’espace co-working que pour l’activité café et restaurant. On a donc pris le risque de s’implanter ici. De toute façon, tout projet entrepreneurial est un risque.
Vous avez bénéficié de différents soutiens bruxellois. Pouvez-vous les détailler?
H.B. : Au début de ma démarche, j’ai été accompagnée par ‘Village partenaire’, le guichet d’économie locale de Saint-Gilles. J’y ai trouvé un accompagnement très personnalisé grâce à un coach spécialisé dans une matière relative au projet, dans mon cas, l’horeca et l’espace co-working. Et surtout, ces guichets d’économie locale sont en lien avec des structures telles qu‘Atrium. C’est le coach qui présente le projet pour l’obtention de la bourse Open Soon. Mon coach m’a aidée à établir un plan financier, m’a donné l’occasion de dialoguer avec d’autres entrepreneurs qui avaient monté leur projet sous sa houlette et m’a même mise en relation avec des fournisseurs potentiels dans l’horeca.
J’ai donc décroché la bourse Open Soon. Puis j’ai suivi une formation collective Dreamstart destinée aux jeunes entrepreneurs chez microStart, une structure privée, elle aussi gratuite. J’y ai bénéficié d’une remise à niveau générale élaborée en fonction des attentes des participants. Après tout cela, j’ai contacté Brusoc qu’on pourrait qualifier de banque des jeunes entrepreneurs sans garantie. Ils savent que vous ne disposez pas de garantie. Donc, ils vous testent vous, votre projet, votre plan financier, ils veulent tout connaître de vous. J’ai obtenu mon prêt.
Les financements ne sont pas négligeables, mais l’aspect compétences, apprentissage, création de réseau ne l’est pas moins. L’un ne peut pas fonctionner sans l’autre. Si je n’avais pas bénéficié de l’accompagnement ‘Village Partenaire’, je n’aurais pas obtenu de bourse…
Quelle est l’évolution depuis le 26 septembre 2015, date de l’ouverture du Phare ?
H.B. : Même si j’ai monté le projet toute seule, nous sommes aujourd’hui deux associés, Julien Guinel, spécialiste de la pâtisserie et responsable de la partie horeca, et moi. Etre à deux pour prendre des décisions, pour se répartir les tâches est beaucoup plus sain. Cinq autres personnes complètent l’équipe.
Dès le départ, nous avons été très très bien accueillis par le voisinage. Pendant les travaux d’aménagement, nous étions là pour expliquer notre projet aux riverains. Cela faisait cinq ans que les locaux étaient inoccupés et ils se posaient des questions. Ils ont été ravis qu’un café s’installe à côté de chez eux de surcroît dans un bâtiment comme celui-ci. Pour le co-working, le bouche à oreille a très bien fonctionné mais cela a été un peu plus long. Aujourd’hui, nous sommes très satisfaits: le café attire les habitués depuis le petit déjeuner jusqu’aux apéros du soir en passant par le lunch, et l’espace de co-working accueille des utilisateurs venant d’un peu partout grâce à l’originalité de notre offre et à des atouts tels que la proximité du métro ou notre garage à vélo. Les deux activités sont très complémentaires: nos co-workers consomment aussi au café, y invitent leurs amis et leurs clients, les événements de networking organisés en collaboration avec le co-working sont publics et se déroulent dans l’espace horeca qu’ils contribuent à faire fonctionner.
Quel est votre ressenti à propos du présent et du futur du Phare du Kanaal?
H.B. : Quand on se lance dans l’entreprenariat, on a toujours envie de voir plus loin. Mais après un an et demi seulement d’existence, il est un peu tôt pour déjà envisager l’avenir. Le concept du Phare a bien pris et continue sur sa lancée, mais le challenge actuel est de le consolider. Pas question de crier victoire. Nous estimons très important de toujours nous réinventer, répondre aux envies des clients, cultiver le côté humain, vivant du Phare. Faire vivre le quartier grâce à des événements culturels est aussi très important. La culture est facteur de lien.
On a été les premiers à arriver au bord du canal. On nous a beaucoup demandé pourquoi nous allions là où il n’y avait aucune offre horeca. Mais c’est cela qui nous plaisait: il n’y avait rien, si ce n’est un potentiel de développement énorme. Le Mima a ouvert juste après nous, puis les hôtels Meininger et Bellevue.
Le canal bouge énormément. J’ai l’impression que pour le moment, on ne s’est pas trompés.
Interview : Catherine Aerts
Crédit photo portrait: Bertrand Vandeloise
Crédit photo site: Jasper Van der Linden
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