Lorsque vous dégustez un verre de bière, vous êtes-vous déjà interrogé sur le sort de la drêche, le malt indispensable à l’élaboration de ce délicieux breuvage et qui est éliminé après le brassage alors qu’il contient encore tant de matières nutritives intéressantes ? Rodolphe Paternostre y a pensé.
Mieux, avec son associé Alan Dartevelle, Rodolphe Paternostre a même réfléchi à une solution pour valoriser cette substance méconnue : la confection de crackers à grignoter, que l’on soit ou non amateur de bière. Et de la théorie à la pratique, il n’y a qu’un pas que les deux passionnés n’ont pas hésité à franchir. Aujourd’hui, en entrepreneurs avisés, ils affrontent avec détermination mais lucidité les conséquences de la crise du COVID-19 et du confinement qui y a été associé.
Une fibre environnementale profondément enracinée
Il est vrai que Rodolphe Paternostre, juriste spécialisé en droit de l’environnement et brasseur amateur à ses moments perdus, a toujours eu la fibre environnementale très développée : «Etudiant, je participais déjà à des projets de sensibilisation à l’environnement », explique-t-il. En toute logique, son début de carrière professionnelle s’inscrit dans cette trajectoire : «J’ai passé six ans à la Région Bruxelloise, à Bruxelles Environnement en économie circulaire et dans le droit des déchets », précise-t-il.
Recycler la drèche : innovant et vertueux
Il y a quatre ans, Rodolphe Paternostre découvre sur Internet un article relatif à une start-up américaine productrice de barres de céréales à base de drêche de brasserie. L’idée lui paraît géniale : «La bière est ma passion et les déchets sont mon expertise », détaille-t-il. « En plus il s’agit bien là d’économie circulaire. La drêche produite en grande quantité par les grosses brasseries peut servir à l’alimentation du bétail. Mais faute de solution comparable, les petites brasseries urbaines sont contraintes de jeter la leur, gaspillant ainsi une ressource que l’on pourrait réutiliser et réintroduire dans l’alimentation. » La rareté des projets visant à revaloriser la drêche dans notre pays détermine Rodolphe Paternostre, Alan Dartevelle et un troisième comparse à se lancer.
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Le parcours du combattant
Mais le chemin est encore long avant de rendre cette activité rentable : il faut mettre au point des recettes savoureuses. Ce sera fait avec l’aide d’une diététicienne et des cuisiniers de l’asbl Eatmosphère active dans la récupération et la redistribution de denrées alimentaires. Il faut aussi professionnaliser la fabrication : à partir de novembre 2017, Laurent Richard, le patron de la boulangerie artisanale bruxelloise ‘La Fleur de Pain’, se prend de sympathie pour leur projet et leur ouvre les portes de son atelier. Tout cela aboutit en novembre et décembre 2018 à une phase de test durant laquelle les apprentis biscuitiers écoulent environ 2.000 paquets de crackers lors de marchés de Noël.
Des entrepreneurs atypiques
Depuis sa création, Beer Food fonctionne sous le statut d’ASBL, mais ses fondateurs ont pour objectif de passer un jour en société. « Au départ, un projet économique nous semblait trop lointain pour sauter le pas d’emblée », explique Rodolphe Paternostre qui concède volontiers : « Nous n’avions pas au départ un profil type d’entrepreneur. Je suis avant tout un militant et si Alan Dartevelle et moi montons une entreprise, c’est vraiment pour apporter notre pierre à l’édifice du changement et pour lutter afin d’améliorer la situation environnementale actuellement préoccupante. Cette volonté et la satisfaction que nous en tirons nous ont permis de persévérer et de trouver une forme adéquate au développement de nos produits. » Une démarche dont notre interlocuteur ne cache pas les difficultés : « J’ai l’impression qu’être entrepreneur, c’est compliqué et qu’être entrepreneur social, ça l’est plus encore. On essaie de faire les choses différemment, de manière plus respectueuse de l’environnement et du social, ce qui implique des contraintes supplémentaires. »
Une dynamique encourageante
Avant le déclenchement de la pandémie, le jeune entrepreneur détaillait : « Il faut vraiment qu’on trouve notre place sur le marché et qu’on arrive à stabiliser nos ventes. En effet, les consommateurs exigeants n’achèteront pas vos produits s’ils ne sont pas bons ou sont trop chers. Actuellement, nous vendons aux environs de 100 kg de crackers par mois et nous constatons que l’intérêt pour le produit va croissant. La tendance est donc bonne mais il faut en vendre des biscuits pour être rentable!» Il se félicitait aussi du succès inespéré rencontré par un crowdfunding lancé dans le but de réunir l’argent nécessaire à l’achat de matériel destiné à la logistique ainsi que pour faire connaître le projet.
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Les enseignements du COVID-19
Le confinement décrété le 16 mars dernier a donné un sérieux coup d’arrêt à toute cette dynamique. « Nous avons perdu la clientèle des traiteurs, des hôtels et des magasins pour touristes. Quant aux sociétés, elles ont dû annuler leurs événements pour lesquels des paniers apéros étaient prévus », déplore Rodolphe Paternostre. « A partir du 1er avril, nous nous sommes donc recentrés sur la vente en ligne qui fonctionne pas mal sans cependant compenser les pertes. Si ces canaux de vente restent en place, cela pourrait tout de même être intéressant. Le tout est de savoir si les consommateurs vont continuer à acheter en ligne au-delà du déconfinement. » Mais pas question pour autant de céder au défaitisme : « Une crise est une opportunité », martèle-t-il. « Dans son sillage, il y a moyen de développer d’autres choses. Pour notre part, nous allons continuer à mettre l’accent sur le bio, le vrac et les paniers d’entreprise, et nous allons essayer d’accélérer la cadence. » Et il voit même plus loin : « Pour l’instant, la rentabilité n’est pas encore suffisante mais si les gens continuent à acheter nos produits, nous pourrons envisager une levée de fonds et passer à la vitesse supérieure. »
Des aides multiples et indispensables
Il serait en effet difficilement imaginable qu’un projet sur lequel tant de bonnes fées se sont penchées soit réduit à néant par le COVID-19. Rodolphe Paternostre détaille les aides reçues jusqu’ici: « La première d’entre elles, celle qui nous a permis de démarrer, nous a été accordée par CoopCity (Centre d’entrepreneuriat social et coopératif à Bruxelles). Grâce à elle, nous avons pu acquérir dans un environnement propice les bases de l’entrepreneuriat, en comprendre les rouages et nous inscrire dans un cadre. Quant à Be Circular, nous avons obtenu de sa part un subside qui nous a véritablement permis de décoller et de nous consacrer beaucoup plus intensément à notre projet, ainsi qu’une aide très précieuse, celle d’un coach particulièrement compétent dans notre domaine d’activité. Je pense que sans cela, nous ne serions tout simplement pas là. Il est indispensable que des projets destinés à changer les choses, à établir un nouveau business model puissent bénéficier de ce type d’aides. Par ailleurs, nous avons aussi retiré beaucoup de bénéfices de la mise en réseau avec des entrepreneurs et acteurs déjà existants via Circlemade (cluster bruxellois pour booster l’économie circulaire), Bruxelles Invest & Export (devenu hub.brussels) ou encore BECI : nous avons élargi assez rapidement notre carnet d’adresses, découvert que beaucoup de problématiques sont communes et, chose très positive, que beaucoup de gens sont bienveillants et prêts à aider. Nous nous sommes même fait des clients! »
Le mot d’ordre: Demandez !
Rodolphe Paternostre a aussi un message à faire passer à ceux que son aventure inspirerait : «DEMANDEZ ! Il faut demander de l’aide, les gens vous aideront. Et demandez aussi leur avis à vos interlocuteurs à propos de l’idée, du projet, du produit que vous développez. Confronter son projet, c’est inquiétant parce qu’on s’expose à des refus, à des réponses qui pourraient ne pas être satisfaisantes, mais mieux vaut une réponse négative tout de suite que plus tard.»
En savoir plus? Visitez le site de Beer Food
Interview par Catherine Aerts