Il y a quelques mois, lors de notre première rencontre avec Samuel Languy et Denys Van Elewyck, les deux fondateurs de la brasserie artisanale En Stoemelings, l’ambiance était à l’optimisme et aux projets. Mais au début 2020, le COVID-19 a fait irruption dans toute l’Europe, bousculant pas mal de prévisions, ébranlant bon nombre de certitudes et mettant à mal de nombreuses entreprises, dont la brasserie bruxelloise. Après quelques semaines de sidération, ses deux fondateurs ont décidé de relever le défi et de réinventer leur modèle. Avec un certain succès.
Il est vrai que l’on ne renonce pas comme cela à un projet né il y a déjà près de sept ans. « Nous nous sommes effectivement lancés en 2013 », rappelle Denys Van Elewyck, « après que Samuel, rentré d’Inde où il avait acquis de l’expérience comme game designer, ait décidé de renoncer à un emploi salarié pour développer un projet personnel, et que j’aie bouclé la formation en bio ingénieur centrée sur la bière que j’avais décidé de suivre à l’Institut Meurice à Anderlecht après mon master en archéologie à l’ULB. L’idée de monter une micro-brasserie me trottait en effet en tête depuis un moment et je voulais proposer une alternative à la grande distribution. A l’époque, le concept était assez neuf à Bruxelles. Ensuite, il s’est développé sans doute un peu trop largement. Heureusement que nous sommes parmi les précurseurs et que nous avions déjà atteint une certaine dimension avant la crise du COVID-19! »
Un développement maîtrisé
Les débuts de la brasserie En Stoemelings ont été passionnants mais stressants pour les deux apprentis entrepreneurs: « Nous n’avions aucune expérience pratique en gestion. Il a fallu tout apprendre sur le tas », commente notre interlocuteur. « Notre activité impliquant toute une série d’obligations administratives liées à notre production d’alcool, il nous a rapidement semblé judicieux de créer notre propre société qui a vu le jour fin octobre 2014. »
Malgré des débuts encourageants, les deux associés ont connu quelques passages à vide et moments de doute qui n’ont cependant pas réussi à ébranler leur détermination.
Denys Van Elewyck: « Entre fin 2017 et septembre 2018, nous avons traversé une période de remise en question interne difficile mais indispensable. Il fallait en effet que nous clarifiions nos valeurs, nos objectifs et nos motivations. Nous avons alors décidé de nous mettre un peu en retrait et avons même perdu une part de notre clientèle et de cette notoriété si durement acquises. Ce fut une année un peu obscure, de travail intense, assez éprouvante psychologiquement. Heureusement, les choses ont évolué favorablement: Greenbizz nous a accueillis dans ses locaux à deux pas de Tour & Taxis et nous avons opté pour la banque Triodos, une banque verte qui choisit ses clients, pour notre financement global. »
Des aides pour se développer
A cela s’ajoutent différentes aides qui ont permis à ‘En Stoemelings’ de se développer. « J’ai envie de citer en premier lieu les conseillers-coaches gratuits et vraiment très efficaces de Village Partenaire, une structure membre du réseau des centres d’entreprises de la Région de Bruxelles Capitale destinée aux micro-entreprises », détaille Denys Van Elewyck . « Nous avons aussi bénéficié du soutien de l’asbl Brufotec (Brussels Food Technology) qui aide les entreprises bruxelloises actives dans le secteur alimentaire à la mise en place et au suivi des normes en matière de sécurité et d'hygiène alimentaires. Et bien sûr, nous avons été des utilisateurs réguliers et très satisfaits de 1819 que nous appelions pour des questions très concrètes. Nous recommandons d’ailleurs ce service à tout le monde ! »
Il cite également la distinction obtenue auprès du Réseau Entreprendre Bruxelles, un réseau d’entrepreneurs bruxellois liés par des valeurs exclusivement entrepreneuriales. En plus des échanges entre ses membres à propos de leur expérience, ce réseau propose les conseils d’un coach personnel aux entrepreneurs en tant qu’individus plutôt qu’à leur entreprise. « Cette nuance est fondamentale », insiste notre interlocuteur qui mentionne aussi la formation suivie à Solvay Entrepreneur par Samuel, la bourse Opensoon d’environ 10.000 €, ainsi que les subsides associés à l’accueil d’apprentis ou offrant des réductions d’ONSS pour les premiers engagements.
« A partir de septembre 2018, nous avons vraiment commencé à revenir sur la scène bruxelloise, dans les bars et les festivals, à mieux vendre nos bières au point de passer d’une production de 200 hl à 1.800 hl, ce qui n’est pas une mince affaire! » se remémore Denys, qui ajoute: « Mais nous avons appris la leçon: il faut régulièrement se remettre en question et écouter les autres sur certains points ! »
Le séisme du COVID-19
Et la remise en question a été aussi soudaine et rude qu’inattendue en ce printemps 2020 à cause de la pandémie de COVID-19. « Le 16 mars, nous avons fermé pour trois semaines », regrette Denys. « Tout notre secteur client a bien sûr été touché et gelé, les commandes B2B ont chuté de 90%. Cela nous privait de vision à court comme à long terme sur nos revenus financiers. Vers la fin de la première semaine d'avril nous avons cependant repris les choses en main et avons petit à petit changé notre stratégie jusqu’à redevenir opérationnels à 100%. »
L'e-commerce à la rescousse
Les deux associés ont innové en développant pour le B2C leur shop en ligne qui n’était jusque-là que balbutiant. « Nous avons commencé par des caisses de nos bières, livrées à vélo moyennant de frais de livraison de 5€ inclus dans le prix global et destinés à des causes qui nous tiennent à cœur, tout d'abord l'hôpital St Pierre, puis Doucheflux. Ensuite nous avons élargi notre offre à des assortiments incluant des bières de nos consœurs bruxelloises confrontées aux mêmes problèmes que nous mais moins bien équipées en matière de vente en ligne. De nombreux autres "packs" ont suivi et nous pouvons désormais reprendre une production normale. »
Ces événements ont renforcé chez le jeune chef d’entreprise un certain scepticisme vis-à-vis du politique et conforté sa foi en la décroissance: « Certes, cela peut sembler paradoxal pour un entrepreneur investi dans un projet dont l'essence même est de ‘grandir’ », admet-il, « mais je pense en effet qu’il est possible de grandir en qualité et pas uniquement en taille. Je vais donc continuer à prôner ma définition de la décroissance, et surtout l’appliquer au futur de la brasserie. Beaucoup de choses vont être différentes, à commencer par le secteur HORECA qui était l’un de nos principaux clients et que ne sera plus le même. Beaucoup des acteurs de ce secteur vont malheureusement disparaître… »
Pour Samuel Languy et Denys Van Elewyck, il est cependant moins que jamais question de se laisser abattre par les événements. Ce dernier précise même: « J’espère que la prise de conscience collective relative à la fragilité des indépendants ne sera pas qu’une tendance éphémère due à la situation exceptionnelle que nous vivons actuellement. Il faut malheureusement constater que les grandes chaînes et les multinationales sont encore largement préférées aux petits indépendants. Cela m’incite encore plus à prôner l'artisanat, le local et l'éthique! »
Article rédigé par Catherine Aerts
J’espère que la prise de conscience collective relative à la fragilité des indépendants ne sera pas qu’une tendance éphémère due à la situation exceptionnelle que nous vivons actuellement.
Denys Van Elewyck