Bienvenue au Centre d’Entreprises Euclides et plus précisément dans l’atelier de Guillaume Lemmens, architecte d’intérieur et menuisier qui a décidé de privilégier l’éthique et le circuit court sous le label Sauvage Lab, sa petite entreprise de création de meubles durables née d’une profonde remise en question des processus de consommation actuels.
À 32 ans, ce titulaire d’un bachelier d’architecture d’intérieur obtenu à l’ESA Saint Luc dispose déjà d’une expérience professionnelle riche et multiple.
Architecte d’intérieur et menuisier
À la sortie de l’école, avec ses compères Gabriel Duru et Julien Decroix, il forme en 2015 le collectif Trilogy hébergé par MAD Brussels, un incubateur ayant pour mission le soutien économique, l’encouragement et la promotion des jeunes entrepreneurs créatifs bruxellois.
« Pendant deux ans, nous avons ainsi pu nous épauler mutuellement, développer nos projets et manager nos problèmes ensemble, détaille-t-il. Nous avons aussi eu l’occasion de toucher un peu à tout, à l’architecture, à la scénographie, au design d’objets… » Ainsi qu’à la déconnexion entre concepteurs et fabricants avec les incompréhensions qui en découlent. « J'ai toujours regretté que ces deux sphères n’évoluent pas plus ensemble, constate-t-il. J’ai donc décidé de compléter mon profil professionnel avec une formation qualificative en menuiserie à l’Institut Arts & Métiers. J’y ai appris la menuiserie traditionnelle, le bois massif, les assemblages à l’ancienne qu’on ne trouve pratiquement plus aujourd’hui dans la menuiserie devenue industrielle. Mon but était de pouvoir maîtriser n’importe quel type de projet de A à Z. ». À l’issue de cette année de formation, il se perfectionne auprès d’ateliers de menuiseries animées par une philosophie qui lui parle. Au bout de deux ans, détenteur d’une double casquette, il songe de plus en plus sérieusement à trouver un petit atelier à Bruxelles où il pourrait s’épanouir.
Bruxellois dans les tripes et dans les actes
Car Guillaume Lemmens est bien décidé à rester à Bruxelles. « J'aime le tissu bruxellois et c’est ici que je me vois en tant qu’artisan, détaille-t-il. J’aime le côté vivant de cette ville et l’esprit novateur qui y souffle. Même si sortir de Bruxelles pour rejoindre son lieu de travail s’avère moins compliqué qu’il y paraît, la hausse récente du prix de l’essence fait réfléchir. Et puis, en tant qu’Anderlechtois, je trouve vraiment confortable de ne pas habiter très loin de mon atelier. »
Un atelier, qu’il a déniché en 2020 à deux pas de chez lui, au Centre d’Entreprises Euclides. Une chance qu’il savoure : « A Bruxelles, l’espace artisanal se fait rare et cher, regrette-t-il, souvent proche d’habitations sensibles aux nuisances sonores, parfois dans des locaux pas très sains ou dans des espaces immenses et très coûteux. Ici, j’ai trouvé un lieu qui me correspond tout à fait : un 50m², modeste certes, mais qui me permet d’accueillir des visiteurs, de construire, de stocker, bref de déployer mes projets. Cette pépinière d’entreprises m’a aussi rapidement permis d’entrer en contact avec d’autres artisans comme la ferronnerie Fano avec qui j’ai pu utiliser mes compétences sur certains projets. »
Designer dans l’âme
Mais il ne s’agit que d’une facette de l’activité d’un Guillaume Lemmens résolu à injecter une dimension éthique dans le design et la production de meubles. « Je pense qu’aujourd’hui, le terme ‘design’ fait trop référence à quelqu’un qui se borne à dessiner une ligne, à soigner l’esthétique, estime-t-il. Pour moi, c’est plutôt un outil à la fois social et environnemental destiné à dessiner différents services, rendre une information accessible, un objet plus efficace, plus ergonomique, plus durable. »
Lisez la suite sous la photo
Aussi, si certains projets qui lui sont confiés sont encore très classiques, d’autres se révèlent plus audacieux et osent par exemple la récupération de matériaux. « Voilà comment est née cette envie de produire du durable, explique-t-il, et d’associer la tradition que j’ai apprise pendant la qualification en menuiserie et le contemporain. Donc les meubles que je produis aujourd’hui sont assemblés à l’ancienne et j’essaie d’en rendre la structure visible. » Guillaume Lemmens a en effet développé une gamme de huit pièces de mobilier en multiplex avec éventuellement couche de stratifié pour la durabilité au quotidien. Destinées à la fois aux particuliers et aux boutiques, elles sont produites en circuit court et jouent la circularité entre designer-artisan et consommateur pour offrir une alternative au mobilier de la grande distribution. Et le designer compte bien aller encore plus loin en transposant cette gamme en panneaux de plastique recyclé avec toujours en tête la pérennité de ses meubles. « Il faut essayer de se défaire de l’idée de saisonnalité, de fragilité. II y a 100 ans, les menuisiers fabriquaient des meubles pour une vie. La structure de mes meubles n’a pas non plus de limite de temps. Ils peuvent se démonter, se remonter presqu’à l’infini, se moduler, s’adapter à la dynamique de la vie moderne.»
Entrepreneur par destination
Depuis le début de ses activités professionnelles, Guillaume Lemmens a opté pour l’entrepreneuriat, plus par nécessité que par choix. « En architecture d’intérieur, il n’y a pas beaucoup d’alternatives, déplore-t-il. Si l’école nous apprend à penser, elle ne nous prépare pas à nous retrouver du jour au lendemain dans la ‘cour des grands’. Heureusement que MAD Brussels a été là pour nous épauler. Et heureusement que la SMART permet aux jeunes de se lancer sans trop souffrir d’éventuelles baisses d’activité et sans avoir d’emblée des charges trimestrielles à payer. Du coup, la transition vers l’entrepreneuriat s’est déroulée assez naturellement.
Les collaborations par lesquelles j’ai commencé m’ont permis d’atteindre une stabilité financière suffisante pour évoluer et gérer mes propres projets. Mais il n’y a pas de secret : au début, il faut sacrifier son confort. » Surtout quand, comme le jeune designer, on ne bénéficie guère d’aide extérieure. « Je me suis juste appuyé sur l’expérience accumulée au fil de ma formation sur le tas. J’y ai appris les rouages du métier et mon double profil m’a donné la flexibilité nécessaire pour répondre aux sollicitations qui commençaient à me parvenir. »
Optimiste par tempérament
Une situation qui ne peut qu’engendrer quelques moments de stress, comme le confie Guillaume Lemmens: « La plupart des artisans peuvent connaître des périodes de creux, avec tous les problèmes de comptabilité et de gestion des finances que cela implique. Cela met la pression et engendre des phases de doute. On se demande ce qu’on peut faire, comment réagir. Lorsque je rentre chez moi, je suis toujours la personne professionnelle avec toute une série de choses qui continuent de me tourner en tête et qu’il faut arriver à gérer. Au début, ne pas me laisser envahir par les doutes et les questions a été difficile. Mais cela fait aussi grandir, démontre qu’il faut se faire confiance. J’exerce un métier passionnant où très peu de jours se ressemblent, où les rencontres sont nombreuses et où l’on connaît la satisfaction du travail bien fait.»
À faire et à refaire
Autant dire que si c’était à refaire, Guillaume le referait sans hésiter. Surtout que si au début de son cursus, il s’est senti bien seul à enchaîner deux formations qui se nourrissent mutuellement, il constate que ses cadets semblent bien plus enclins à multiplier les cordes à leur arc. Aussi a-t-il un message à leur faire passer : « Le chemin pour acquérir l’expérience est long, expose-t-il. Aussi faut-il persévérer même quand on a l’impression de ne progresser qu’à tout petits pas. Mais quelle satisfaction de constater qu’on est en quelque sorte pilote de son propre navire ! » et il ajoute : « Il ne faut pas hésiter à démarcher, à aller à la rencontre des professionnels, essayer de se confronter aux différents corps de métier, ce qui est toujours enrichissant. Les rencontres, c’est important ! »
Pour en savoir plus : Sauvage Lab
Interview par Catherine Aerts