Il est de la responsabilité d’un entrepreneur, administrateur de société commerciale, d’intégrer et de comprendre les éléments clés liés à la capitalisation de sociétés. Explications...
Beaucoup d’idées reçues et de malentendus circulent quant à la capitalisation des sociétés et beaucoup d’éléments clés ne sont pas connus ou négligés. Pourtant, cette problématique représente des enjeux non négligeables pour l’entreprise, ses actionnaires et les tiers.
Cet article vise à clarifier quelques points clés et à permettre aux entrepreneurs de mieux appréhender cette thématique multifacettes.
NB : Cette matière et les sujets liés étant particulièrement vastes, cet article n’a pas pour vocation de couvrir tous le scope possible ; quelques raccourcis sont également présents afin de privilégier la compréhension !
Capital minimum légal
Prenons le cas simple d’une Sprl. Une société ayant cette forme juridique doit avoir un capital légal minimum de 18.550 € dont min. 25% (6.220 €) doit être libéré (=apporté) lors de la création.
Ceci semble évident et connu de tous, mais de quoi parle-t-on ?
Avant toute chose, ces 18.550 € ou 6.220 € ne sont pas un coût mais une exigence légale en termes de moyens minimum à allouer à la société créée sous cette forme juridique. Déduction faites des frais de notaire et de publication, le solde de cette somme constitue des fonds disponibles pour démarrer l’activité de la société. Le capital à libérer devient donc un moyen d’action de la société, à l’actif du bilan.
Alors que cela parait évident, c’est une des incompréhensions les plus ‘classiques’ dans le chef de candidats entrepreneurs !
Plan financier remis au notaire et responsabilité
Toujours dans le cas d’une Sprl, l’entrepreneur doit remettre au notaire un plan financier lors de la création de son entreprise. Le but est de pouvoir évaluer, en cas de faillite dans les 3 ans, et en cas de recours de parties externes, si la société n’a pas été ‘sous-capitalisée‘ de manière flagrante, lors de sa création. Si ceci est avéré, la responsabilité de la faillite pourrait être étendue vers le patrimoine privé des actionnaires, au-delà donc du périmètre de responsabilité de la Sprl. Ceci reste toutefois relativement théorique : seuls les cas tranchés entraîneront des conséquences de ce type.
Capital minimum légal <> Capital économiquement nécessaire
L’état impose pour certaines formes de sociétés des niveaux minimum de capitalisation. Ces montants sont forfaitaires et constituent un des paramètres (parmi beaucoup d’autres) sur lesquels les entrepreneurs se basent pour choisir une forme de société.
Une erreur souvent entendue de la part d’entrepreneurs débutants est que la capitalisation de leur société est ‘en ordre’, dès lors qu’ils ont rassemblés 6.220 € (cas d’une Sprl). Ce raisonnement est généralement erroné ! Il faut en effet bien dissocier d’une part le capital minimum imposé par la loi, et d’autre part le capital nécessaire au lancement et au développement des activités de la société. On touche ici aux besoins de financement et à la question parfois complexe du mix de financement à considérer pour répondre à ces besoins.
La vraie question n’est donc pas de savoir quel est le capital légal minimum, mais de savoir quels sont les besoins globaux de la société et quel niveau de capital ces besoins impliquent-t-ils.
Capital ou prêt ?
Par rapport à l’apport envisagé par les actionnaires, faut-il nécessairement que cet apport se fasse intégralement en capital ? Non ceci, n’est pas obligatoirement nécessaire. L’actionnaire peut apporter une partie en capital et une partie sous forme de prêt. Cette deuxième forme d’apport représente alors une dette de la société envers l’actionnaire, appelé généralement ‘compte courant’ (CC/gérant ou CC/associé) et se retrouve au passif du bilan.
Si ce prêt est porteur d’intérêt, l’actionnaire pourra donc les percevoir personnellement, sur base d’un régime fiscal plus avantageux que les rémunérations, et ces intérêts pourront être déduits de la base fiscale de la société, à titre de charges financières. En outre, sous certaines conditions, une contrepartie financière comme par exemple une banque, pourra accepter lors de son calcul de risque d’assimiler cette forme d’apport aux fonds propres de la société.
Quelques erreurs néanmoins à ne pas commettre :
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(i) légalement, comptablement et fiscalement, ce prêt ne constitue ni des fonds propres, ni du capital,
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(ii) l’intérêt supporté par la société sur ce prêt ne peut être excessif, au risque autrement d’être requalifié en rémunération déguisée
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(iii) la répartition éventuelle entre ‘véritable’ capital libéré et prêt accordé à la société doit se baser sur différents paramètres, surtout financiers, et non pas uniquement sur une volonté d’optimisation fiscale.
Evolution du capital et des fonds propres
La vie d’une société n’est certainement pas linéaire, mais plutôt en perpétuel changement. Il en va de même pour son capital et pour élargir la notion, pour ses fonds propres.
En phase de démarrage, la société va généralement ‘bruler’ une partie de son capital, car elle ne dégagera un profit qu’après un certain temps. Cette non rentabilité sera supportée par les moyens apportés par les actionnaires et entrainera la comptabilisation d’un résultat reporté négatif, au passif du bilan, et qui viendra affaiblir les fonds propres.
A l’inverse, en phase de rentabilité, le maintien au sein de la société des bénéfices dégagés permettra d’augmenter les fonds propres (=autofinancement).
Les besoins financiers évoqués précédemment ne sont également pas linéaires. En fonction de nombreuses réalités, propres à la société ou à son environnement, ces besoins vont évoluer, parfois fortement. Il peut donc être nécessaire de procéder à une augmentation de capital (et dans de plus rare cas à une diminution) : période de non rentabilité importante ou récurrente, augmentation de la taille de la société sans évolution proportionnelle des fonds propres, développement de (nouveaux) produits ou entrées sur de nouveaux marchés, investissements spécifiques, phase d’accélération, etc
Solvabilité
Mesurer la solvabilité d’une entreprise, c’est mesurer sa capacité à faire face à ses engagements via ses moyens propres. C’est donc un bon indicateur de la santé financière d’une entreprise et sur base agrégée, des entreprises d’une région, d’un pays ou d’une zone économique/monétaire.
Il y a plusieurs manières de calculer la solvabilité, mais le principe de base reste le même, à savoir de comparer le niveau des fonds propres (constitués notamment du capital et de l’autofinancement accumulé), avec le total du bilan de cette même société (ou le total de ses dettes). Les fonds propres sont souvent corrigés, notamment en y ajoutant les comptes courant au passif, si ceux-ci sont stables, … et en déduisant ceux de l’actif !
L’importance d’avoir une capitalisation / solvabilité suffisante est non seulement clé pour l’entreprise elle-même, mais elle l’est tout autant, voire plus, aux yeux des tiers qui interagissent avec elle et en particulier pour les contreparties de financement dont les banques.
Intérêts notionnels
Suivant cette logique de solvabilité, plus une entreprise a un % de fonds propres élevé, plus sa solidité financière est considérée comme importante. Or, il n’y a pas d’incitation fiscale à maximiser les fonds propres, alors que l’Etat a tout intérêt à ce que son tissu économique soit solide. Paradoxalement, le financement par la dette a lui un incitant fiscal, via la déductibilité des charges d’intérêts.
Le législateur belge a donc voulu favoriser la constitution de fonds propres des sociétés implantées en Belgique en créant un incitant fiscal original : la possibilité de déduire des intérêts « fictifs » liés au volume de fonds propres, au même titre que les intérêts (réels) d’une dette financière. Consultez la rubrique sur les intérêts notionnels sur le site du SPF Economie
Sonnette d’alarme et entreprise en difficulté
Mais que se passe-t-il si l’entreprise ‘brule’ une partie (trop) importante de ses fonds propres ?
A partir de quand et dans quelles circonstances est-ce éventuellement un souci ?
On doit considérer cette question sous 2 angles : l’angle légal, en lien notamment avec la procédure dite de « la sonnette d’alarme » et l’angle de l’accès au financement et à certaines aides
Angle légal : Procédure de « la sonnette d’alarme »
Si les fonds propres d’une société (Sa, Sprl, Scrl) sont réduits à un montant inférieur à la 1/2 du capital souscrit, il y a lieu d’activer la procédure dite de « la sonnette d’alarme ». Celle-ci impose à l’organe de gestion de la société d’établir un rapport spécial et de convoquer l’AG des actionnaires dans les deux mois pour décider de la poursuite (ou non) de l’existence de la société et des éventuelles mesures de redressement. Cette procédure est à nouveau de mise si les fonds propres sont réduits à moins d’1/4 du capital souscrit.
A défaut de respect de cette procédure, il y a une présomption (réfragable) de responsabilité des administrateurs pour les dommages subis par des tiers. Les conséquences d’un non-respect peuvent donc être grandes. Ceci est d’autant plus important que bon nombre d’administrateurs de (petites) sociétés ignorent ces règles.
Il faut par ailleurs noter que le respect de la procédure de la sonnette d’alarme ne préserve pas les administrateurs d’une éventuelle responsabilité si la société poursuit son activité dans des conditions de capitalisation manifestement inadéquates.
Cela veut donc bien dire que la responsabilité d’administrateurs de sociétés peut dans ces différents cas de figure dépasser le cadre de la responsabilité limitée de la société et impacter le patrimoine privé des actionnaires.
b) Angle de l’accès au financement et à certaines aides
D’une manière générale, une société ayant une solvabilité jugée trop faible, avant, mais surtout après une transaction potentielle de financement, risque de recevoir un refus de la part de sa banque. Ceci est systématique si les fonds propres sont quasi nuls voire même négatifs.
Bien plus, pour certaines aides publiques, belges ou européennes, il peut y avoir des exigences en termes de seuil de solvabilité minimum ou de structure financière en général. Ainsi, une entreprise qui est comptablement considérée comme une « entreprise en difficulté » (logique similaire à la sonnette d’alarme), sera purement et simplement exclue de l’accès à ces aides. Pour pouvoir être à nouveau éligible, la société devra procéder à une augmentation (ou à une diminution) de capital.
Conclusions
Nous n’avons abordé ici que quelques éléments clés liés à la capitalisation de sociétés commerciales et ce sans réellement rentrer dans les détails. Il est donc clair qu’il est de la responsabilité d’un entrepreneur, administrateur de société commerciale, d’intégrer et de comprendre ces éléments clés, afin d’exercer au mieux son rôle et de garantir la pérennité de son entreprise, de son activité et des emplois liés.