Des milliers de demandeurs d’emploi bruxellois ont des compétences qu’ils n’arrivent pas à valoriser auprès des entreprises. Qu’à cela ne tienne ! Actiris peut les aider à créer leur propre emploi, à devenir ce qu’on appelle un « autocréateur d’emploi ».
Une solution pour sortir du chômage ?
Grégor Chapelle : « Oui. C’est certainement une des solutions possibles pour permettre à un demandeur d’emploi de sortir du chômage. Il s’agit d’un levier qu’Actiris actionne depuis plusieurs années déjà et, en l’occurrence, notre nouveau contrat de gestion, qui a été approuvé en janvier 2013 par le gouvernement bruxellois, prévoit explicitement qu’une de nos missions est le soutien à l’autocréation d’emploi.
Nous travaillons jusque décembre 2014 avec six partenaires subsidiés ( Iles, UCM, Ceraction, Crédal, JobYourself, Après) pour accompagner les chercheurs d’emploi qui le souhaitent à créer leur propre emploi. Pour la période 2015-2019 , ils seront 5 : Iles, Ceraction, Crédal, JobYourself et Microstart ».
Quel est le public réellement concerné par l’autocréation d’emploi ? Pas tout le monde, j’imagine…
Grégor Chapelle : « Non, c’est sûr. Pour ma part, j’estime que l’autocréation d’emploi peut apporter une réponse à certaines catégories bien spécifiques de chercheurs d’emploi, en l’occurrence des personnes qui, d’une part, pourraient être victimes de discriminations à l’embauche et qui, d’autre part, disposent de compétences professionnelles directement exploitables. Pour ceux qui franchissent le pas, pour ceux donc qui créent leur propre emploi, les résultats sont excellents, à la fois en terme de création d’emploi mais aussi en terme de revenus générés pour eux-mêmes.
Mais il n’y a pas que cela : l’autocréation d’emploi est de l’activation positive des demandeurs d’emploi. En fait, du jour au lendemain, ces personnes changent de statut : elles ne sont plus des demandeurs d’emploi qui rédigent des CV et envoient des lettres de candidature, elles sont devenues des personnes en activité, même si, au départ, il ne s’agit que de quelques heures par semaine. Du coup, nous constatons que le processus d’autocréation d’emploi n’ouvre pas seulement la voie vers le statut d’indépendant et la création de sa propre activité économique, ce processus conduit aussi pas mal de demandeurs d’emploi/autocréateurs vers un emploi salarié. »
Comment peut-on expliquer qu’en cours de route, le but – l’autocréation d’emploi – finisse par être en quelque sorte abandonné ?
Grégor Chapelle : « Le demandeur d’emploi redevient actif, se crée un nouveau réseau avec une nouvelle identité professionnelle et il finit par se faire embaucher chez un fournisseur ou chez un client qui ont détecté chez lui – ou elle – les compétences professionnelles dont ils avaient besoin. Leur regard a changé vis-à-vis du demandeur d’emploi devenu autocréateur. Au final, quand on analyse les retours à l’emploi par le biais de l’autocréation, on constate qu’un tiers de ces retours se font au travers d’un statut de salarié. »
On recense 110.000 demandeur d’emploi à Bruxelles, mais on sait aussi que beaucoup n’ont pas nécessairement les compétences professionnelles appropriées pour entrer dans cette logique. Dès lors, combien sont réellement concernés par ce processus ?
Grégor Chapelle : « Il est vrai qu’une partie importante de nos demandeurs d’emploi sont peu qualifiées et sont rarement pris en compte dans l’accompagnement vers l’autocréation d’emploi. Nous devons clairement faire en sorte qu’eux aussi puissent bénéficier de ce programme. Sinon, côté chiffres, en 2013, 2158 personnes ont bénéficié d’un accompagnement à l’autocréation d’emploi sur 180.000 chercheurs d’emploi et de fait, surtout des personnes qualifiées.
Petite précision au passage : la Région de Bruxelles Capitale compte effectivement autour de 110.000 demandeurs d’emploi, c’est en quelque sorte le stock, mais il ne faut pas oublier le flux. En l’occurrence, il faut donc tenir compte aussi des 70.000 demandeurs d’emploi qui trouvent un emploi après leur inscription chez Actiris. C’est donc sur une masse de 180.000 demandeurs d’emploi que nous fixons notre objectif de retour à l’emploi au travers de l’autocréation et cet objectif, c’est 5.000 (3 % des 180.000) . Nous devons donc doubler l’accompagnement que nous avons proposé en 2013. »
Et pour cela vous allez vous appuyer sur vos partenaires…
Grégor Chapelle : « Oui, évidemment. Et nous comptons bien profiter au maximum du système des coopératives d’activité. C’est une véritable révolution ! J’appelle ce mécanisme la « sécurité sociale d’émancipation » : on s’appuie sur la Sécurité sociale pour sécuriser quelqu’un de telle sorte qu’il puisse entreprendre et acquérir petit à petit un revenu qui lui permette à terme de s’émanciper. Car le problème que nous rencontrons souvent – c’est le cas aussi pour les jeunes entreprises soutenues par Impulse d’ailleurs – c’est que l’autocréateur « traditionnel », s’il n’a pas à priori de gros moyens financier ou un important soutien familial, doit générer très rapidement des revenus pour atteindre l’équilibre financier, sous peine de faillite et/ou de surendettement. Dans le cadre des coopératives d’activité, les demandeurs d’emploi en autocréation – pour autant qu’ils répondent à une série de critères précis – gardent leur allocation de chômage pendant 18 mois. Même si l’autocréateur ne preste que quelques heures par semaine au début, il a un revenu complémentaire qu’il peut thésauriser progressivement en vue de sa prise d’autonomie complète. Et ça, c’est une révolution copernicienne. »
Vous évoquiez tout à l’heure le changement d’image, le changement de perception qu’entraîne le passage à l’autocréation pour un demandeur d’emploi auprès d’un employeur éventuel. Est-ce que ce changement se perçoit aussi auprès des banques ou des organismes susceptibles de financer un projet ?
Grégor Chapelle : « Absolument ! Parce qu’après plusieurs mois d’activité, l’autocréateur peut aller voir ces organismes avec des comptes de résultat, avec une activité, avec un portefeuille clients, avec une marge brute, et pas seulement avec un business plan. Il est dans le réel ! Et donc, l’accès au crédit est plus facile que pour un demandeur d’emploi qui veut se lancer abruptement.
J’ajoute qu’une fois lancé dans le système des coopératives d’activité, la situation administrative du demandeur d’emploi change également, puisqu’il est exonéré du contrôle de l’Onem et que la dégressivité de son allocation de chômage est suspendue – c’est bien le minimum qu’on puisse accorder à un demandeur d’emploi qui prend le risque de créer son propre emploi. »
Comment sélectionnez-vous les demandeurs d’emploi qui vont pouvoir bénéficier de l’accompagnement à l’autocréation d’emploi ?
Grégor Chapelle : « Actiris a d’abord une obligation d’information vis-à-vis des chercheurs d’emploi. Chacun d’entre eux est reçu par un conseiller emploi lors de son inscription et du diagnostic de sa situation professionnelle. A charge pour nos conseillers – et nous les formons à cela – d’indiquer au demandeur d’emploi les pistes possibles de retour à l’emploi, en ce compris l’autocréation. Si le conseiller détecte ce potentiel spécifique chez un demandeur d’emploi, il lui donne l’information, les coordonnées de nos 6 partenaires et l’envoie à des séances d’information collectives, suivies le cas échéant de séances d’information individuelles, puis différentes étapes dans la préparation du projet et, une fois le projet accepté, on se lance ! »
Est-ce que la dimension entrepreneuriale de cette approche vous a poussé à développer des collaborations spécifiques à Bruxelles ?
Grégor Chapelle : « Ce projet se trouve clairement à l’intersection de nos compétences et de celles de impulse.brussels. Nous avons donc décidé de collaborer et, en l’espèce, impulse.brussels va nous aider à sensibiliser les conseillers des antennes Actiris aux enjeux de l’autocréation d’emploi ; notre deuxième partenariat, c’est le « 1819 ». Concrètement, si un chercheur d’emploi appelle le 1819, toute l’offre de la région de Bruxelles-Capitale concernant l’autocréation d’emploi lui sera renseignée.
Autre point essentiel : vu le nombre d’organismes que le demandeur d’emploi est susceptible de contacter quand il envisage de créer son propre emploi (centre d’entreprise, guichet d’économie locale, coopératives d’activité, organisme de microcrédit, etc.), nous travaillons ensemble activement au développement d’ une plateforme d’accompagnement avec un dossier unique de l’autocréateur. Toutes les informations utiles sont entrées une seule fois dans ce dossier unique par chacun des acteurs qui sont amenés à recevoir le demandeur d’emploi concerné. Il s’agit de faire gagner du temps à tout le monde. »
Interview : Adrien Mintiens