Dans le courant du moins de novembre 2020, Cameleon, l’enseigne de vêtements de marque en vente privée, faisait aveu de faillite. Très rapidement, Pascale Switten, la responsable des achats, et deux entrepreneurs, Thibaut Dehem et Alexis Malherbe, créent une nouvelle société, Rengo, et relancent les activités de Cameleon. Leur pari ? Associer les employé·es au projet de relance des magasins en leur proposant de devenir actionnaires. Aujourd’hui, 46 salarié·es détiennent 6,8% de l'entreprise.
Rengo, c’est une success story de reprise et de sauvetage de l’enseigne Cameleon par ses salarié·es. Mais pas seulement. À côté de ce repreneuriat, la société a décidé de se réinventer au niveau de sa gouvernance, et d’opter pour un modèle plus participatif.
« Dès le départ, nous voulions faire participer tous les employés à la vie de l'entreprise et à la prise de décision, parce qu’au final, nous sommes tous des collègues, et c'est ça qui est important », explique Thibaut Dehem. Pour évoluer vers ce nouveau mode participatif, Rengo s’est fait accompagner, par l’intermédiaire de hub.brussels, par une spécialiste du management et du développement des entreprises, Ludmilla Petit. Nous lui avons demandé de nous parler de la place et de la forme de cet accompagnement dans la mutation de Rengo.
À quel moment êtes-vous intervenue dans l’accompagnement de la nouvelle entreprise Rengo, lors de la reprise de Cameleon par une partie de ses employé·es ?
L.P. : La mission, qui m’avait été confiée par hub.brussels, était d’accompagner le personnel de Rengo, à la fois les managers et les travailleur·euses, dans leur nouveau projet d’entreprise, et je suis d’abord intervenue pour aider les parties en présence à échanger collectivement, pour définir un projet commun. Dès qu’un accord est intervenu entre les trois entrepreneurs et la curatrice, nous avons tenté de trouver un modèle de reprise pour associer le personnel. C’était un des premiers objectifs de mon accompagnement : trouver un modèle légal et financier. Nous avons travaillé avec deux avocats spécialisés en droit commercial et fiscal, de façon à faire de ce projet une opportunité de développement réaliste pour le personnel et qui ne soit pas une charge fiscale ou pénalisante pour les collaborateur·rices.
Il faut souligner que la formalisation légale de la reprise, la mise en œuvre juridique du repreneuriat proprement dit, a pris un certain temps.
Quelle forme a pris cet accompagnement ?
L. P. : La première étape consistait à voir comment fonctionner ensemble. Par la suite, une fois que l’activité a été relancée, nous avons défini quel style de gouvernance, plus collaborative, les responsables souhaitaient mettre en œuvre. L’idée étant que la nouvelle structure ne soit pas un copié-collé du Cameleon d’avant. Comment impliquer le personnel et jusqu’où ? Dans quels organes ? Quel pouvoir donner et à quel niveau ? Comment décider ? En somme, des questions que l’on se pose lorsqu’on pense gouvernance, avec une approche plus impliquante pour le personnel. C’est là qu’il fallait sonder les besoins pour apporter des solutions collaboratives.
Qu’avez-vous proposé plus spécifiquement aux travailleur·euses, afin de faire face à ce nouveau statut d’auto-entrepreneur·e ?
L.P. : J’ai proposé au personnel une première présentation reprenant le rôle des différents organes dans la gouvernance, de l’AG, du l’organe d’administration (anciennement conseil d’administration), les bases et les explications de la société, le rôle de l’actionnaire... Finalement, c’est quoi être actionnaire ? C’est à la fois participer au pilotage et à la valeur que l’on crée dans l’entreprise. Passer au statut d’actionnaire implique toute une série d’informations, qui sont super importantes à connaître avant de s’engager !
Nous avons beaucoup insisté sur les enjeux d’avoir deux casquettes : actionnaire et collaborateur. On pense toujours que tout le monde rêve de devenir actionnaire de son entreprise… alors que ce n’est pas forcément le cas ! N’oublions pas qu’une des principales motivations des employé·es, au départ, était de maintenir leur emploi.
Nous avons organisé des moments privilégiés, par petits groupes, pour poser les questions, et aussi rencontrer les inquiétudes. Les questions nous ont aussi fait évoluer dans nos solutions, autour de vrais échanges constructifs. Comme dans toute organisation qui tend vers plus de collaboratif, il faut également que tout soit le plus transparent possible. Ici, nous avons été très transparents sur le processus, ce qui a contribué au succès de l’entreprise.
Le repreneuriat de Cameleon a ouvert la voie à un nouveau modèle de gouvernance. Quels outils avez-vous proposé d’intégrer ?
L.P. : Après le modèle légal et financier et le modèle de gouvernance, nous avons pu nous attaquer à intégrer les nouvelles énergies dans l’opérationnel, avec des projets plus concrets.
Très vite, nous avons travaillé à la mise en place d’un cercle « bien-être ». Nous avons donc constitué et activé les premiers comités, dont ce comité bien-être, qui a planifié en intelligence collective le réaménagement des bureaux. L’objectif : amener plus d’harmonie et de fluidité dans le travail. Cela allait beaucoup plus loin que d’installer un baby-foot dans l’espace de détente ! Ici le bien-être se conjugue à la performance, il permet d’améliorer le travail de chacun et donc le bon fonctionnement collectif de Rengo. Cela a permis, en corollaire, de motiver les équipes autour d’un projet commun.
Cette étape s’est avérée très riche dans la mesure où chacun a pu apporter sa pierre à l’édifice, tout en apportant des solutions réalistes.
C’est probablement cela le premier avantage d’un système de management plus collaboratif : permettre à chacun de contribuer à améliorer la performance et le cadre de travail. Développer son autonomie, et voir le résultat de ses propres décisions, c’est aussi un des facteurs de motivation…
Quels bénéfices représentent les outils d’intelligence collective et la prise de décision par les collaborateur·rices, devenus actionnaires de leur entreprise ? Qu’est-ce qui fonctionne et qui ne fonctionne pas ?
L.P. : Tout ce processus d’implication a nourri l’appartenance au projet Rengo, tant pour les managers que pour les employé·es, et ce à plusieurs niveaux. Et ce sentiment d’appartenance était d’autant plus fort dans le cadre d’un nouveau projet, qu’il fallait faire évoluer, et dans lequel ils se sont tous sentis impliqués. Quel meilleur facteur de motivation, pour les managers comme pour les collaborateur·rices ?
Comme l’a précisé Thibaut Dehem, lors d’une table ronde organisée sur la gouvernance participative par hub.brussels, le 16 novembre 2021, dans le cadre de la semaine de la transmission, ce qui fonctionne bien ce sont les comités. À côté du comité bien-être, sont venus s’ajouter un comité salarial et un comité plus orienté client. Cela permet de faire interagir des personnes très différentes dans l'entreprise sur des sujets bien spécifiques. Ensuite, il existe aussi d’autres mécanismes d'implication, comme par exemple, l’envoi de formulaires pour demander l’avis des employé·es, sur une marque ou des actions caritatives.
Près d’un an après la relance, continuez-vous à accompagner l’entreprise et comment cette relation évolue-t-elle ?
L.P. : Une des prochaines étapes sera la composition de l’Organe d’administration (auparavant le Conseil d’administration), avec la participation d’un représentant des travailleurs et d’un représentant des managers. Pour ce faire, nous allons procéder à une élection sans candidat, cet outil d’intelligence collective qui permet de faire émerger les bons candidats en sortant du cadre habituel des votes, et tout en offrant un réel feedback mutuel.
Nous avons également prévu de parler des fondements du participatif (pour tuer les idées reçues du genre « tout le monde décide de tout » ou « je fais ce que je veux au pays des bisounours ») et d’en montrer l’efficacité. Il s’agit également de doter les groupes qui fonctionnent ensemble d’outils pratiques et efficaces pour leurs réunions ou pour leurs processus de décision (décision par consentement et facilitation de réunion).
Et nous allons également revenir sur le rôle et la responsabilité de l’actionnaire, qui feront l’objet d’une prochaine formation.
« Il existe de nombreux prérequis pour pouvoir mettre en place un management participatif : il faut de la confiance entre les collaborateur·rices et que tout le monde soutienne le projet. Chez Rengo, au départ, certaines personnes n'avaient pas le même projet pour l’entreprise, et de ce fait ne sont pas restées dans l’aventure ». » Thibaut Dehem
À propos de Cameleon
- 1988 - Création du concept de magasin de vente d’articles de marque à prix réduit (réservé aux membres).
- 2009 - Développement de l’offre de détail avec l’ouverture de deux grands sites à Woluwe-Saint-Lambert et Genval, dont le premier bâtiment commercial éco-construit en Europe à Woluwe. L’enseigne est récompensée pour son engagement et son innovation en matière de construction et de respect de l'environnement.
- 2020 - Après des décennies de succès, Famous Clothes S.A., la société détentrice de Cameleon, dépose le bilan.
- 2021 - Reprise de l’enseigne par Rengo. La nouvelle société est dirigée par Pascale Switten, directrice générale, Thibaut Dehem (fondateur de l'agence digitale 87seconds) et Alexis Malherbe (gérant de Wolf Food Market), en association avec 46 employé·es actionnaires. Cameleon propose également, au comptoir de Woluwe, une Rengo Street qui compte un bar et un restaurant.