C’est l’histoire d’une Bretonne qui, après des études de sciences politiques à Strasbourg, et une spécialisation dans l’innovation, est devenue Bruxelloise d’adoption et CEO de Kantify, une entreprise franco-bruxelloise d’intelligence artificielle (IA), qu’elle a co-fondée avec Nik Subramanian...
Comment avez-vous évolué des sciences politiques à Kantify ?
Ségolène Martin : A l’époque de mes études, l’innovation constituait déjà une priorité politique. J’ai donc décidé de me spécialiser dans ce domaine qui me semblait plein d’avenir. C’est ainsi que j’ai représenté des acteurs technologiques régionaux (universités, entreprises, clusters) de Bretagne et d’autres régions du Grand Ouest auprès de l’UE. C’était passionnant, en constante évolution et riche en opportunités pour les jeunes avides d’apprendre. J’ai monté des partenariats technologiques, j’ai touché aux nanotechnologies et j’ai monté le premier réseau de clusters européens dans le domaine des technologies de l’information et de la communication, avant de travailler dans l’industrie où j’ai rapidement eu des responsabilités managériales. Est alors venu un moment où j’ai réalisé qu’il était temps pour moi de passer de l’autre côté de la barrière et de me lancer dans l’entrepreneuriat.
Etait-ce un projet d’avenir élaboré de longue date ?
S.M. : Non, ce sont les circonstances qui m’ont menée à l’entreprenariat. Je ne me rêvais pas particulièrement entrepreneuse même si la réussite en tant qu’entrepreneurs de plusieurs membres de ma famille devait m’inscrire inconsciemment dans ce trajet. En revanche, un questionnement qui m’animait était la crainte d’une carrière professionnelle tout tracée, pré-déterminée par mon diplôme initial. Pour m’ouvrir d’autres portes, j’ai donc entrepris un MBA tout en travaillant. J’y ai acquis tout un socle de connaissances indispensables à un entrepreneur en finances, en droit, en management, en marketing, en ressources humaines. Grâce à ce solide bagage, j’étais prête à me lancer !
Comment avez-vous vécu cette nouvelle orientation de votre carrière ?
S.M. : Passer d’une grande entreprise à une petite structure constitue un choc culturel ! L’entrepreneur doit tout faire lui-même, définir ses priorités, savoir où il veut aller et comment, se constituer un réseau, s’entourer de personnes expérimentées et de bon conseil. C’est tout un apprentissage.
Le monde européen et le monde de l’entreprenariat sont totalement différents. La culture est différente, les gens sont différents. Il est pourtant possible de passer de l’un à l’autre. Si l’on est prêt à apprendre, à changer, à prendre un risque, des opportunités formidables de se former existent grâce à la technologie, à YouTube, aux MOOCS. Cela avance tellement vite qu’il ne faut surtout pas rater le train.
Chaque jour est plein de challenges ! J’ai appris la résilience, une qualité très importante quand on essuie une déconvenue telle qu’un contrat qui tarde à aboutir ou un client qui change d’avis faute de budget. Il faut apprendre à dépasser ces contretemps et à se réinventer, à transformer cette expérience négative en leçon pour le futur, ou opportunité de s’améliorer. Ce n’est pas toujours facile, mais ça aide à avancer. Eddie Cantor a bien raison lorsqu’il dit ‘It takes 20 years to make an overnight success’. Bien-sûr, cela ne prend peut-être pas vingt ans, mais il faut savoir que l’image sur papier glacé de l’entreprenariat où tout semble facile est tronquée, elle ne montre pas tout le travail, la transpiration, les difficultés qu’il y a derrière. Pas question pour autant de se décourager, mais je crois qu’il faut être honnête sur ce point car c’est une réalité pour tout entrepreneur !
Quel est le cœur d’activité de Kantify ?
S.M. : Nous développons des applications d’intelligence artificielle, et plus spécifiquement de ‘machine learning’. Autrement dit, nous développons pour les entreprises des logiciels qui fonctionnent grâce à des modèles, des algorithmes. On utilise le ‘big data’, des données de plus en plus nombreuses à être collectées, si nombreuses que nous, humains, sommes incapables de les lire, les utiliser en temps réel, contrairement à certains ordinateurs. Les besoins des entreprises sont énormes et la technologie est en pleine expansion dans beaucoup de secteurs
Concrètement, nous sommes actifs dans différents domaines tels que le ‘pricing dynamique’ qui permet aux entreprises de déterminer le bon prix au bon moment pour chaque produit, à chaque moment, et même pour chaque client, afin d’augmenter leurs marges et leurs ventes. Nous sommes également imbattables sur la prédiction d’évolution de prix sur des périodes très longues. Autre application: le marketing personnalisé qui consiste à prédire quel est le bon produit pour la bonne personne au bon moment. Nous réalisons aussi beaucoup d’analyse automatisée d’images et de vidéos, par exemple pour compter automatiquement le nombre de personnes sur une image ou pour détecter si une personne prend un produit sur une vidéo.
Quel a été le processus de création de Kantify ?
S.M. : Il y a deux ans, nous nous sommes rendu compte que l’intelligence artificielle commençait à révolutionner la société et le fonctionnement des entreprises, et ce n’était qu’un début. Les gens se mettaient à en parler et les entreprises avaient vraiment besoin d’en comprendre le fonctionnement et la valeur ajoutée pour elles. La notion même d’‘intelligence artificielle’ peut effrayer: on se demande comment elle peut s’intégrer dans l’entreprise, quelle utilisation peut en être faite, si les robots ne risquent pas de causer des pertes d’emploi.
Parallèlement, la compétition entre les entreprises devenait de plus en plus âpre dans tous les domaines. Les technologies telles que l’intelligence artificielle leur permettent de gagner en compétitivité en étant plus performantes, ou en développant de nouveaux services. Il y avait donc un créneau. Très classiquement, nous avons commencé avec un client, un petit projet qui prend peu à peu de l’ampleur, puis un deuxième client. La qualité de notre travail s’est fait connaître ainsi. Quand on débute, le plus difficile est de se faire connaître et d’établir un lien de confiance avec les clients potentiels. Beaucoup d’autres jeunes entreprises bruxelloises sont confrontées aux mêmes challenges. C’est essentiel de faire ses preuves.
Et parlez-nous de son évolution
S.M. : De plus en plus d’entreprises, quelle que soit leur taille, ont identifié que l’intelligence artificielle était soit un must, soit une formidable opportunités. Les possibilités qui leur sont offertes par l’intelligence artificielle en termes d’avantage compétitif et de performance opérationnelle sont très nombreuses. Nos clients sont ainsi à la fois des startups, des PME ou de grands groupes.
Nos activités ont commencé en Belgique puis se sont rapidement étendues en France, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Angleterre. Avec un domaine d’expertise tel que le pricing, il est naturel d’être contacté par des clients situés au-delà des frontières. Notre internationalisation a été bien sûr favorisée non seulement par nos références mais aussi par nos reconnaissances par de grands acteurs technologiques ou par les médias tels que le Wall Street Journal.
L’intelligence artificielle est une technologie clef. Elle est déjà déterminante et va l’être encore plus dans le futur. C’est pourquoi un nombre croissant de pays investissent massivement dans cette technologie: Chine, France, Etats-Unis... La compétition au niveau international fait rage, ce qui est bien sûr très positif pour une entreprise telle que Kantify. Nous avons l’avenir devant nous, même si comme pour chaque entreprise, ce ne sont pas les challenges qui manquent !
A quel type d’aide ou de soutien avez-vous eu recours ?
S.M. : On sait combien le réseau est précieux pour les entrepreneurs. Il fait tout ! Nous sommes membres du Software Cluster, le réseau des entreprises technologiques de Bruxelles. On peut y obtenir de précieux conseils en matière par exemple de propriété intellectuelle ou de subventions, y bénéficier d’aides très utiles pour le montage de projets européens, y pratiquer le networking, la mise en réseau. Lors d’événements organisés dans ce cadre, on peut rencontrer des partenaires potentiels, créer son propre écosystème, trouver des clients, ce qui a été notre cas.
Dans le domaine de la technologie, la diversité est importante, de genre bien entendu, mais aussi sociale ou culturelle parce que quand on veut changer les choses, innover, agir autrement, il est important de s’entourer de gens qui pensent différemment. A Bruxelles, les entrepreneuses dans le domaine de la technologie et les développeuses web sont encore rares. Le réseau Women in Tech dont je suis membre fait beaucoup de sensibilisation à ce propos parmi les jeunes femmes et diffuse des offres d’emploi. Il permet aussi de prendre conseil auprès d’autres entrepreneuses.
Nous avons également été lauréats du programme d’incubation Start It@KBC, ce qui nous a ouvert des portes et offert une belle infrastructure de travail.
Des conseils pour de futures entrepreneuses ou futurs entrepreneurs?
S.M. : Je leur dirais de sortir de chez eux et de frapper à toutes les portes possibles, sans se mettre de limites. Demandez du feedback sur votre idée ou business plan, faites appel à tous les réseaux, toutes les structures d’aide, de conseil. Et surtout ne vous focalisez pas sur ce qui vous manque, que ce soit en termes de formation ou de role models. Les opportunités, on les crée. N’attendez pas qu’elles viennent à vous !