Pour découvrir la Brussels Distillery, direction un quartier tranquille de Schaerbeek. Dans une cour délicieusement surannée blottie à l’abri de deux maisons patriciennes, on est accueilli par Alexis Brabant et son père Serge en plein travail dans l’espace tout juste rénové dévolu à leur distillerie. En dépit de la crise du COVID-19 qui a porté un rude coup à l’HORECA, leur principal canal de distribution, ils continuent à distiller et à faire des projets.
Le jeune homme de 28 ans, titulaire d’un diplôme en ingénieur de gestion et passionné par la fermentation depuis l’adolescence, retrace volontiers l’aventure de la Brussels Distillery: «En humanité, nous avions étudié la fermentation, c’est à dire la transformation du sucre en alcool qui est la base de toutes les boissons alcoolisées. Cela m’a amené à m’intéresser au monde des spiritueux artisanaux et à me dire que les relancer à Bruxelles serait une bonne idée parce qu’à l’étranger, après le phénomène des brasseries artisanales qui a émergé aux Etats-Unis dans les années 80, on assiste à la multiplication des distilleries artisanales.»
Le duo père-fils : la formule gagnante
«C’était il y a presque dix ans et j’étais encore un peu jeune pour me lancer dans une telle aventure», sourit-il. «J’ai d’abord fait mes premières armes dans l’univers de la brasserie. Puis il y a deux ans, j’ai proposé à mon père de me rejoindre et ce qui était une boutade est devenu une réalité: nous avons créé la Brussels Distillery à deux. Lui s’occupe de la gestion quotidienne de la brasserie, c’est-à-dire pour l’instant de la prospection et de la production, tandis que je me consacre au marketing, à la mise au point des recettes, à tout ce qui est recherche et développement. Nos activités ont officiellement commencé au début du printemps 2019 et les premières bouteilles sont sorties en avril.»
Les arcanes de la création d’entreprise
Qu’on ne s’y trompe pas, la création de cette distillerie s’apparente tout de même un peu au parcours du combattant. Serge Brabant: «Il nous a fallu presqu’un an et demi pour obtenir les diverses autorisations avant de trouver le local. Ensuite nous avons été confrontés aux multiples dossiers à remplir et à la foule de démarches à effectuer: rédiger le permis d’environnement, demander les autorisations auprès des services incendie, expliquer notre projet aux riverains, s’identifier auprès de la TVA , des accises, de l’AFSCA. Heureusement que notre propriétaire a compris la situation et a accepté de jouer le jeu!» Pas de quoi décourager son fils qui précise: «Il est vrai que beaucoup d’acteurs, de services séparés ne s’échangent pas d’information, ce qui oblige à recommencer plusieurs fois les mêmes démarches. Mais cette activité, c’est par passion qu’on l’a entreprise et c’est par passion qu’on persévère. De toute façon, je suis entrepreneur dans l’âme depuis toujours. Pendant mon master à Louvain-la-Neuve, j’ai d’ailleurs intégré l’option CPME (Créateur Petites et Moyennes Entreprises), une option en entreprenariat dans laquelle les étudiants élaborent un projet de création d’entreprise en guise de mémoire. Je crois bien que j’ai la vocation…»
Faire face à la crise du COVID-19
Autant dire qu’avant l’irruption du COVID-19 dans la vie de leur micro-distillerie, le père et le fils avaient des projets, des objectifs et une véritable stratégie que la crise a bousculés mais auxquels ils n’ont pas renoncé : «A terme, l’idée est évidemment de devenir ‘LA’ distillerie de référence à Bruxelles, dont les produits seraient distribués dans les magasins spécialisés et les magasins de produit de bouche artisanaux privilégiés par une clientèle exigeante, amatrice de bonnes choses et consciente que qualité rime plus avec artisanal et local qu’avec industriel», précisaient-ils avant d’expliquer leur choix de se focaliser dans un premier temps sur l’Horeca en raison du feedback extrêmement rapide qu’il permet. C’était évidemment compter sans le COVID-19. «Les bar, cafés et restaurants, nos principaux clients, sont fermés depuis le 14 mars», détaillaient-ils au début du mois de mai. «Depuis, nos seules ventes ont été réalisées auprès d'un magasin de spiritueux qui vend d'ailleurs plus que par le passé, et par le biais de notre webshop en ligne suite à deux campagnes de promotion lancées via Instagram. Toutefois, pour le mois d'avril, nous n'avons réalisé que 15 % de notre chiffre d'affaire moyen mensuel calculé sur les trois mois précédant le début de la crise», constataient-ils avant de positiver: «Comme nos charges sont réduites au maximum et que nous ne rétribuons pas encore notre main d'œuvre, cette crise ne causera qu'un retard dans notre développement.»
Rebondir et avancer
Des flacons de vodka et de gin continuent donc de s’aligner sur les étagères schaerbeekoises. Elles devraient même être bientôt rejointes par la production maison de rhum et de peket ! Le jeune entrepreneur commente: «Une distillerie permet de produire presque tous les spiritueux imaginables. Nous avons choisi de commencer avec la vodka parce qu’elle peut servir de base à un certain nombre d’autres spiritueux dont le gin que nous avons ajouté à notre gamme en raison d’une importante demande pour les cocktails. Et nous avons d’autres projets en gestation. Nous avons profité de ce temps de confinement pour parfaire la recette d'un rhum que nous commercialiserons dans les prochains mois et nous avons aussi l’objectif de produire l’un des premiers whiskies de Bruxelles pour la dégustation duquel il faudra attendre 2023!»
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La jolie histoire d’un partenariat né de la crise
Le jeune entrepreneur, qui reste résolument optimiste, tient aussi à partager l’expérience d’un partenariat original né de cette crise inattendue: «Quatre micro-brasseries bruxelloises se sont coalisées et nous ont demandé dès le 19 mars si nous pouvions distiller la bière contenue dans leurs fûts entamés et invendable à terme. Ensemble, nous avons donc concocté une recette de peket à base de différents types de bière, aromatisé de genièvre et d'autres épices. La distillation de ces bières invendues issues de dizaines de fûts de bière a débuté durant la semaine du 11 mai et la commercialisation a été lancée dans la foulée. Voici un beau projet de partenariat respectant le principe de l'économie circulaire et locale», insiste-t-il.
Les aides au fur et à mesure des besoins
Tout cela n’aurait sans doute pas été possible sans le soutien de hub.brussels comme l’indique Serge Brabant: «J’y ai suivi une formation sur le création de petites entreprises et nous y avons obtenu l’aide d’un juriste pour choisir notre futur statut juridique et pour relire le projet d’acte de création de la sprl pour laquelle nous avions finalement opté.» Son fils précise: «Notre philosophie est d’avancer progressivement et de rechercher au fur et à mesure ce qui existe en matière d’aides. BeCircular par exemple nous intéresse d’autant plus que nous voulons nous inscrire dans l’économie circulaire. Nous sommes en effet la première distillerie à cautionner nos bouteilles et à récupérer les pelures d’oranges bio qui autrement auraient été jetées par les établissements servant du jus frais, afin de les réutiliser pour aromatiser nos produits. Rencontrer d’autres entrepreneurs sensibilisés aux mêmes problématiques que nous et pourquoi pas collaborer avec eux serait intéressant.»
Plaidoyer pour l’entrepreneuriat
Même la crise du COVID-19 n’a pas réussi à déstabiliser le jeune entrepreneur qui a envie de lancer un appel à ses amis de sa génération: «En discutant avec eux, je constate que peu d’entre eux semblent avoir la fibre entrepreneuriale, qu’ils se représentent l’idée de franchir le pas comme une montagne», constate-t-il avant de constater: «Pourtant, on peut commencer à tester un marché, une idée avec pas grand-chose, y aller petit à petit, et si le feedback est concluant, réfléchir à la suite. Il y a un moment où il faut oser se lancer, même à petite échelle, mettre concrètement les mains dans le cambouis!» Voilà qui est dit…
Interview par Catherine Aerts