Nicolas De Laet et Yannick Vereerstraten se sont rencontrés à la Solvay Brussels Schools of Economics and Management en 2003. L’un était déjà un marin passionné. L’autre ne naviguait pas encore. Le premier a converti le second et de nombreuses traversées plus tard, c’est ensemble qu’ils ont créé Sailsense, startup proposant un système d’aide à la navigation.
Racontez-nous la genèse de Sailsense
Nicolas De Laet : Cela fait maintenant quelques années que Yannick et moi envisagions plusieurs modèles de business applicable au bateau. Fin 2016, pendant une traversée de l’Atlantique, nous avons commencé à considérer ce projet beaucoup plus sérieusement. J’avais déjà quitté mon job avant de partir, il en a fait de même à notre retour des Caraïbes. C’est ainsi que Sailsense a officiellement été fondée en juillet 2017.
Quelle est l’originalité de votre concept ?
NDL : La navigation au sens large est souvent perçue comme quelque chose d’assez complexe, technique, difficile, dangereux même. Après analyse, nous sommes arrivés à la conclusion que nous pouvions faire la différence et amener une valeur ajoutée basée sur notre background professionnel précédent en facilitant le suivi technique du bateau en tant qu’objet. Il existe bien sûr des systèmes d’aide à la maintenance pour les très gros bateaux de type porte-container. Mais il s’agit de machines complexes et coûteuses, qui au demeurant aident un équipage déjà en grande partie dédié à la maintenance.
Pour les bateaux de plaisance, c’est tout autre chose: comme pour les avions, il y a des utilisateurs qui pilotent, et, dans le cas de flottes de location par exemple, des techniciens qui s’occupent de la maintenance. Nous avons eu l’idée d’utiliser les données générées par les systèmes du bateau pour faciliter la vie du skipper, mais aussi des loueurs, des assureurs, bref de tous ceux qui restent en dehors du bateau. Notre client n’est donc pas le navigateur lui-même, mais l’objectif est de l’atteindre et de lui simplifier la vie. Il nous a donc fallu concevoir un produit adapté.
On entre désormais dans une ère où les objets deviennent des sources de données et envoient des informations sur leur statut, interagissent via internet entre eux et avec d’autres systèmes. Sailsense Analytics s’inscrit totalement dans cette dynamique de l’internet des objets (‘internet of things’ ou IOT). Les objets connectés se contentent d’envoyer des données, alors que les objets intelligents sont capables de prendre des décisions seuls. Nous cherchons à rendre les bateaux connectés et intelligents.
La création d’une entreprise était-elle une évidence pour vous ?
NDL : Nous avons toujours su qu’à un moment ou un autre, nous lancerions une entreprise. J’ai travaillé pendant cinq ans dans le conseil en stratégie et pendant cinq autres années dans le retail, mais il a toujours été clair pour moi qu’à un moment ou un autre, je sauterais le pas. Au cours des dix dernières années, j’ai dû rédiger dix ou quinze business plans avancés. C’est très bien d’avoir l’idée, mais en réalité, elle ne représente souvent que 5% de l’ensemble d’un projet.
Ce qui compte, c’est la réalisation, le fait d’être entouré des bonnes personnes, d’avoir les moyens, les compétences, le temps, l’énergie mentale, que le moment soit le bon. Je pense personnellement qu’on ne peut pas se lancer tout seul dans l‘entreprenariat, qu’il est essentiel d’être au minimum deux. Etre entrepreneur est un vrai projet de vie grâce auquel on apprend énormément. Je pense que de manière générale dans la vie professionnelle, si on ne se dit pas tous les jours "aujourd’hui j’ai appris quelque chose de nouveau", il faut changer de métier. Sailsense Analytics et l‘entreprenariat m’apportent cette nouvelle dimension d’apprentissage, de découverte.
Avez-vous dû faire face à des difficultés ?
NDL : Les difficultés, c’est la base ! Nous avons rencontré une foule de difficultés. Il nous fallait un produit qui fonctionne pour qu’on puisse en faire la démonstration. Développer un site web, c’est facile et rapide. Le hardware l’est beaucoup moins.
Mais il faut tout d’abord gérer ses propres attentes par rapport à soi-même. Quand on démarre une startup, d’instinct on se met en mode 110m haies car il faut y aller vite, foncer. En réalité, on a besoin au quotidien de l’endurance d’un marathonien. Et pour réussir il faut être capable de courir un marathon comme un 110m haies. C’est un véritable apprentissage, difficile mais absolument indispensable. Le seul moyen d’y arriver est d’aimer profondément ce que l’on fait. C’est en tout cas mon moteur.
Dans les grandes entreprises comme celles au sein desquelles j’ai commencé ma carrière, on ne se rend pas vraiment compte de la chance qu’on a d’être entouré, supporté par des services spécialisés en relations humaines, en marketing, en développement etc. Dans les startups, si on ne fait pas les choses soi-même, il ne se passe rien. La finance, les ressources humaines, le marketing, tout cela est difficile, chronophage et gourmand en énergie. Il faut se transformer en homme-orchestre et faire en sorte que tout progresse au même rythme. Il est impensable de ne s’occuper que d’un secteur au détriment des autres. Tant qu’on arrive à maintenir cet équilibre et que le projet est sain, tout s’enchaîne assez bien. Mais plus le temps passe et plus c’est difficile. Une startup est un peu comme un avion: si on tire un peu sur le manche à balai, l’avion monte gentiment. Si on tire trop fort, il décroche et tombe. Il faut trouver le bon angle de montée en fonction de la puissance des moteurs que sont le financement, les réseaux, les personnes ressources. Et si l’avion d’à côté possède des moteurs plus puissants, il va de toute façon monter plus vite et plus fort.
Je pense que le risque qui guette le plus les entrepreneurs belges en général et bruxellois en particulier est une question de mentalité: notre culture latine ne valorise pas du tout l’échec. C’est un énorme frein culturel à l’entreprenariat.
Des coups de pouce tout de même ?
NDL : J’ai vraiment été profondément touché et positivement surpris par ce que hub.brussels pouvait nous proposer. Nous avons directement été accueillis à bras ouverts par une équipe ultra compétente, connaissant parfaitement son métier. Immédiatement s’est instaurée une dynamique ultra positive qui se poursuit aujourd’hui encore: on s’échange plusieurs mails par semaine, on est particulièrement contents de se voir, de se croiser lors d’événements.
Ils s’intéressent à ce que nous faisons, savent exactement où nous en sommes, connaissent nos derniers soucis, nos nouveaux développements, nous mettent en relations. Désormais, nous faisons partie du board du cluster software qui regroupe différentes entreprises et universités. C’est très enrichissant, très motivant. On y réfléchit aux politiques bruxelloises avec une vraie volonté de faire évoluer l’écosystème entrepreneurial à Bruxelles.
Des projets ?
NDL : En matière de hardware, le développement de notre boitier arrive à son terme. En matière de software, sans entrer dans les détails aujourd’hui, nous travaillons principalement sur l’intelligence artificielle et le ‘machine learning’, le fait de créer des algorithmes capables d’apprendre par eux-mêmes et d’anticiper certains problèmes pouvant arriver sur un bateau. Nous communiquerons davantage sur le produit et ses fonctionnalités en juin.
Parallèlement à cela, nous suscitons beaucoup d’intérêt de gros clients avec qui nous allons commencer à travailler en essayant une fois de plus de trouver le bon équilibre car qui dit gros clients, dit beaucoup de bateaux. Il nous faut gérer notre croissance, donc nous maintenons en attente certains clients potentiels. Nous sommes une startup bruxelloise et fière de l’être, mais le marché belge est insuffisant. Nous visons donc les marchés européens.
Et si vous deviez donner un conseil à un aspirant entrepreneur ?
NDL : Ne le faites pas tout seul ! C’est le conseil que je donne à mes amis tentés par l’entreprenariat. Si nous n’avions pas été deux cofondateurs, l’aventure serait finie depuis longtemps. Cette dynamique est vraiment nécessaire, tout comme pouvoir de temps en temps s’appuyer sur une autre personne en qui on a une confiance aveugle et avec laquelle il n’y a aucune rivalité. Deux cerveaux qui fonctionnent différemment, qui n’ont pas les mêmes forces, pas les mêmes faiblesses mais qui arrivent à se contrebalancer, à se freiner ou à se booster en fonction des circonstances constituent un socle solide sur lequel on peut ensuite construire des montagnes, rajouter de nouveaux employés, des partenaires ou des investisseurs. Pour moi, être à deux ou à trois équivaut à mettre deux ou trois énergies dans un même corps, à devenir ce super athlète qui sinon n’existe pas.