Des pneus qui crissent sans le moindre bruit, un dragon qui rugit silencieusement, des armes qui tirent sans même un chuintement… les jeux vidéo privés de leur sonorisation n’auraient décidément pas la même saveur. La sonorisation, voilà précisément le domaine d’expertise de François Fripiat et de son équipe chez Demute Studio.
«À la base, l’univers du jeu vidéo ne m’était pas vraiment familier», prévient François Fripiat qui a en effet commencé sa carrière professionnelle dans le monde du cinéma où pendant près de dix ans il a peaufiné le son de publicités, doublages, documentaires et autres longs métrages.
L’empire des jeux vidéo
Pourtant, dès 2020, Demute Studio se tourne avec succès vers le jeu vidéo. Plus précisément, l’équipe du studio bruxellois s’occupe de toute la verticale ‘son’ de projets de jeux vidéo, depuis la création des sons principaux (le dragon qui éructe, l’avion qui s’écrase,…) jusqu'à la programmation des déclenchements dans le moteur de jeu, pour que le bon son soit audible au bon moment, en passant par la musique et tous les sons cachés (le vent, les bruits d’accélération…).
Parmi ses clients, quelques-uns des principaux studios internationaux de jeux vidéo. «Nous nous sommes en effet rendu compte qu’en Belgique le marché de la création de jeu vidéo est très étroit et que nous devions nous tourner vers l’étranger. Aujourd'hui, nous réalisons +/- 70% de notre chiffre d’affaires à l’international : France, USA, Canada, Angleterre…». La plupart de ses clients ont soit besoin de renfort pour faire face à leur masse de travail, soit ne possèdent pas d’ingénieur du son au sein de leurs équipes. « C'est là l’originalité et parfois la complexité de notre rôle », détaille François Fripiat. «Pour travailler sur des projets qui changent de semaine en semaine, voire de jour en jour, il faut s’adapter en permanence, allier la modularité de l’externe et l’implication d’une équipe interne. On est seulement une dizaine de studios dans le monde à proposer ce type de service. C’est passionnant mais radicalement différent de la manière dont les choses se passent en cinéma. »
Une équipe jeune et formée sur le terrain
François Fripiat s’est évidemment entouré d’une équipe pour fournir ce service trois étoiles aux majors du secteur. «Notre département 'jeu' compte six collaborateurs en interne», détaille-t-il. «Tous ont moins de 30 ans et occupent leur premier emploi chez Demute Studio. À 35 ans, je suis leur doyen !
En Belgique, il n’existe pas de formation pour ce genre de métier. De plus, nous développons progressivement une méthode de travail assez particulière. Nous privilégions donc le système des stages de minimum quatre mois. Nous essayons de détecter des profils intéressants parmi nos étudiants, nous les engageons, les formons et les intégrons à notre équipe à raison d’environ un engagement par an. À cela s’ajoutent deux personnes pour le département culturel qui n’est pas encore rentable. » Et il insiste : « Malgré que je sois le patron et le seul actionnaire de la boîte, je pense vraiment que c’est tous ensemble que nous en faisons le succès. Je tiens à la responsabilisation de chacun et je veille à ce que tous se concentrent sur ce qu’ils ont envie de faire. Nous essayons d’avancer comme cela, un peu à la manière d’un collectif. Il faut que le roulement soit très faible pour que le business puisse fonctionner au mieux car on investit beaucoup dans la formation de l'équipe.»
«Fail Fast»
La mise sur pied d’une véritable stratégie s’est également avérée nécessaire. « Notre leitmotiv est le ‘fail fast’, rater le plus vite possible », détaille François Fripiat. « Cela nous permet de déterminer très rapidement ce qu’il faut changer. Il suffit d’en discuter avec d’autres entrepreneurs, des investisseurs etc, pour réaliser qu’engager trop d’énergie et d’argent sur un projet qui ne fonctionnera pas est l’erreur n°1 des primo-entrepreneurs. Ne pas être amoureux de son idée et se demander si objectivement elle a une chance de réussir est clairement un conseil à donner aux entrepreneurs. Si l’idée fonctionne, on continue. Dans le cas contraire, on change. C’est finalement ce que nous faisons depuis quatre ou cinq ans. Tous les quatre à six mois, voire même tous les mois, nous modifions notre stratégie. »
Un projet avant-gardiste
Il s’agit là de l’aboutissement d’un processus entamé en 2016, quand François Fripiat se lance dans la réalité virtuelle, « c'est-à-dire », explique-t-il, « la reproduction en 3D de ce que je faisais en cinéma en 2D ».
Parmi ses premiers projets en collaboration avec Innoviris et le centre de recherche l’ISIB (Institut Supérieur Industriel de Bruxelles), fût un casque de réalité augmentée audio adapté aux visites culturelles. « Nous voulions recréer du son de manière ultra réaliste », décrit-il avant de constater avec beaucoup de lucidité : «La technologie fonctionne mais n'a pas trouvé son marché car nous sommes restés trop concentrés sur notre excitation "technique" d'ingénieurs, sans remarquer que le concept ne rencontrait pas les besoins du marché.
Les entrepreneurs ont un besoin intrinsèque de trouver une solution tandis que les chercheurs ont besoin de chercher. Les deux objectifs ne s’alignent pas nécessairement. Le plus grand enseignement de cette aventure est certainement qu’il faut se focaliser sur les attentes du public, sur ce dont les consommateurs ont besoin ou envie. Nous avons failli sur ce point. En outre, la technologie est restée chère alors que nous avions parié sur une diminution des prix. Et pour couronner le tout, nous avons été confrontés aux conséquences de l’épidémie de covid-19. » Toutes les conditions étaient alors réunies pour un changement de cap et l’entrée réussie de Demute Studio dans l’univers du jeu vidéo.
D’Innoviris à hub.brussels
François Fripiat n’a pas hésité non plus à se tourner vers les différentes aides disponibles. «Nous avons collaboré avec Innoviris de plusieurs manières différentes », rappelle-t-il. « Nous avons créé différentes innovations : un système de zoom dans les sources sonores pour les expériences de réalité virtuelle, un système de tracking de microphone, et bien sûr le projet de casque de réalité augmentée audio né d’un travail conjoint avec le centre de recherche de l’ISIB et pour lequel Innoviris nous a suivis à hauteur de 400.000€.
J’ai aussi pas mal sollicité l’aide de hub.brussels pour la prospection internationale, la participation à des foires et salons où nous avons beaucoup été présents même s’il ne s’agit pas du terrain de prospection idéal pour nous. La crise du covid nous a d’ailleurs démontré que nous n’avons pas besoin de prospection physique, que le contact passe plus facilement en virtuel. »
Entrepreneur par raison
François Fripiat semble donc avoir la fibre entrepreneuriale chevillée au corps. Pourtant, il confesse : « Je n’ai jamais eu comme ambition de devenir entrepreneur, cela ne m’excitait pas particulièrement. J’étais d’abord un créatif, un technicien. J’ai eu l’occasion de créer le studio Demute en collaboration avec mes anciens patrons.
Au fil du temps, j’ai réalisé qu’il y avait dans cette association des dysfonctionnements dus à des visions qui s'opposaient d'un point de vue humain, innovation etc... C'est surtout le manque de remise en question et de curiosité intellectuelle qui m'a frappé et poussé à faire le pas. J’ai donc décidé de créer ma propre structure pour être complètement indépendant. Cela s’est fait un peu sur le tas dans l’optique de créer les moyens nécessaires pour atteindre mon objectif plutôt que par ambition personnelle et par désir de devenir entrepreneur. L’entrepreneuriat est très à la mode. Or il faut être bien clair : ce n’est pas facile et que cela prend du temps ! »
Interview: Catherine Aerts