Les PME sont au cœur de la crise du « coronavirus ». Olivier Kahn, Coordinateur du CEd-BECI, revient sur l’importance de ne pas traverser seul cette épreuve.
D’abord sanitaire, la crise a rapidement causé d’importantes difficultés aux indépendants et aux PME. Quel retour recevez-vous du terrain?
Olivier Kahn « Dans un premier temps, les entrepreneurs ont fait le dos rond et activé les mécanismes mis en place par notre Région et le Fédéral: primes, délais spéciaux et mesures exceptionnelles. Si les demandes de soutien ont augmenté, elles ont été essentiellement réactives et individuelles… Comment obtenir la prime régionale? Comment organiser le chômage temporaire? Faut-il réclamer le report de la TVA?
Cette onde de choc absorbée, nous entrons dans une phase plus complexe, où des questions de restructuration vont se poser. Le climat se durcit: des clients disparaissent, certaines négociations avec les fournisseurs sont au point mort, etc. Nous nous attendons donc à voir surgir des demandes collectives — pour revitaliser un quartier, rebooster un réseau d’entreprises, etc. -, mais aussi des questions plus stratégiques et prospectives. C’est fondamental, car on se rend compte de l’ampleur du combat à mener sur le long terme et de l’importance de préparer l’avenir! »
Tous les secteurs sont-ils impactés de façon similaire?
O.K. « L’horeca et les commerces de proximité sont en première ligne: frappés de plein fouet par les mesures de confinement. Mais l’effet domino s’est rapidement enclenché… Pratiquement tous les secteurs sont aujourd’hui touchés. Même des prestataires de services, comme les copywriters ou les coachs, qui n’ont pas de commerce physique, font face à des pertes de contrats en cascade. La crise est donc bien multisectorielle. De nombreuses entreprises parviendront à résister, mais regardons la réalité en face: l’effet boule de neige fera malheureusement des « victimes ». »
Le début du déconfinement est-il toutefois un signe d’espoir?
O.K. « Sur la durée, le confinement aurait posé des problèmes de plus en plus profonds. C’est donc forcément positif… Mais les entrepreneurs doivent prendre conscience que, même dans le meilleur scénario — tel que celui annoncé —, la « machine » ne reprendra pas immédiatement à 100 à l’heure. Il faudra du temps: la période de flottement et d’incertitude va se prolonger. La prudence reste donc de mise, car les prochains mois risquent de tourner au ralenti… »
Quelles sont les principales difficultés rencontrées par les entreprises?
O.K. « La gestion du cash est au cœur des préoccupations. Sans liquidités, difficile de payer le loyer de son commerce. De leur côté, les propriétaires sont sous pression, puisqu’ils ont souvent un crédit à rembourser. Cela débouche sur des impasses!
Par ailleurs, rappelons que, même si les indépendants ont eu raison de demander le report de certains paiements (TVA, précompte professionnel, etc.), la vigilance reste de mise. Il s’agit bien de reports d’échéances, pas d’annulations! Tôt ou tard, ils devront régler ces sommes… Prenons l’exemple: le paiement des cotisations sociales du 1er trimestre 2020 ne sera dû qu’au 31 mars 2021. Une bulle d’air indispensable. Mais il faut comprendre qu’à cette date, l’indépendant fera face au montant reporté, plus celui du 1er trimestre 2021, plus une éventuelle régularisation. Sera-t-il en mesure de décaisser cette importante somme en une fois? »
Comment se prémunir contre ces difficultés?
O.K. « La clé est d’anticiper (ce qui peut l’être)! Il faut mesurer, aujourd’hui, les possibilités de paiement de demain. C’est le cœur de notre travail en ce moment: sensibiliser les comptables et les indépendants à l’importance d’élaborer des plans prévisionnels de trésorerie. Cela reste une projection, construite sur base d’hypothèses de rentrées et de décaissements, mais c’est indispensable pour évaluer si les dettes pourront être apurées. Si ce n’est pas le cas? Alors il faut prévoir des solutions externes de financement. »
Quels autres bons réflexes prodiguez-vous?
O.K. « En premier lieu: rester dans l’humain! Ce n’est pas simple, lorsqu’on est confronté à des difficultés… Mais les entrepreneurs doivent absolument garder le contact avec leurs partenaires, clients et fournisseurs. Ne pas craindre, par exemple, d’expliquer qu’on aura du mal à honorer une facture ou un engagement. Tout le monde est dans le même bain, on peut donc espérer une meilleure compréhension mutuelle. »
Pourtant, des blocages existent. Comment réagir?
O.K. « Le bon réflexe est de faire appel à une personne neutre. Ce n’est pas une solution miracle, mais cela permet de désamorcer les conflits. Sur la question du loyer, par exemple, nous encourageons, locataires et propriétaires, à nous contacter pour profiter d’un service de médiation. L’intervention d’un tiers permet souvent de déboucher sur un accord à l’amiable, et éviter ainsi des impayés à la chaîne ou des procédures juridiques interminables. Comme dit la formule, « un mauvais accord vaut mieux qu'un bon procès », alors développons un esprit de « partage des dommages »! »
On évoque de plus en plus la nécessité de « se réinventer »… Un impératif?
O.K. « D’abord, les entrepreneurs doivent se concentrer sur leur métier de base. Ne pas partir dans tous les sens, car cela peut générer de nouveaux risques ou des situations non maîtrisées. Mais c’est aussi le moment de lever le nez du guidon, observer son environnement direct et évaluer si son secteur d’activité est encore porteur. Et pour cause, l’avenir ne sera probablement plus comme avant (en tous cas, pas tout de suite)! Il est donc essentiel de repenser son activité, sans s’éparpiller. Oublier ce qui est perdu, pour se concentrer sur ce qui peut être construit et essayer d’adapter son activité à un contexte inédit. De nombreux métiers vont évoluer, alors il faut accompagner ce mouvement en trouvant des alternatives. »
Mais comment appréhender concrètement cette évolution?
O.K. « Répondre à la question « qu’est-ce qui s’ouvre à moi demain? » Et surtout bannir le vieux réflexe « cela a toujours marché, alors j’attends que cela revienne! » Les choses risquent de ne pas retrouver leur état initial. Imaginons le cas d’un traiteur qui organisait des banquets pour des mariages et des baptêmes. Demain, le format des évènements sera altéré, les volumes inférieurs, les exigences différentes, etc. Idem pour un coach: terminé les classes de 50 élèves. Même du côté des comptables, une profession pourtant « classique », la pratique va évoluer: les collaborateurs seront à distance, le contact avec les clients et le transfert de données seront toujours plus digitaux, etc. ».
Force est de constater que ce n’est pas simple d’envisager sereinement l’avenir. Pourtant, la dimension psychologique est importante pour rebondir…
O.K. « Il est vrai que la crise actuelle effraye, mais nous en avons vu d’autres au cours de l’histoire. Il y aura forcément de la « casse » et ce n’est pas facile à entendre ou à accepter. Mais prenons du recul, gardons le moral et gageons qu’un nouveau départ est possible. Concrètement, les entrepreneurs doivent tout mettre en œuvre pour s’en sortir: saisir tous les leviers disponibles pour sauver leur activité, chercher des solutions, comme la mutualisation des ressources et des infrastructures (cuisines et véhicules partagés, par exemple), etc. Mais à un moment donné… s’il faut arrêter les frais, mettre la clé sous la porte, ce n’est pas une fin en soi. On peut rebondir! La vie entrepreneuriale ne s’achève pas avec l’arrêt d’une activité. On peut faire une pause, poser le pour et le contre et se relancer. Restons positifs pour mieux rebondir… »
Quelles sont les clés de ce « rebond »?
O.K. « Nous devons davantage travailler ensemble: trouver des partenaires, développer des synergies, collaborer, partager, etc. Cela me semble une nécessité! Puis, il faut garder son sang-froid, ne pas paniquer et avancer pas à pas. On l’entend souvent, mais cela reste vrai, les difficultés sont autant d’opportunités à saisir. Dans tous les secteurs, des portes vont s’ouvrir, des initiatives intéressantes verront le jour. On l’observe déjà dans l’horeca, par exemple, que ce soit au niveau de la livraison, des formules à domicile, etc. Un tas de nouvelles idées à développer, de projets à construire, de possibilités à exploiter! Et pour aider les entrepreneurs dans cette transition, nous sommes présents! »
Le CEd-BECI évidemment, mais aussi l’équipe régionale d’accompagnateurs et accompagnatrices constituée pour épauler et aiguiller les PME pendant la crise. Quel est son rôle?
O.K. « C’est une task force d’une centaine de professionnels — 50 comptables, 30 avocats, des médiateurs, des coachs, etc. — mise sur pied pour parer au mieux à l’urgence. L’idée est d’intervenir par téléphone auprès des entrepreneurs qui le sollicitent. Le 1819 reste évidemment en première ligne pour guider les indépendants, mais lorsqu’une aide plus précise est nécessaire, alors nous prenons le relais. Ce n’est pas un accompagnement de long terme, mais du conseil pointu pour résoudre un problème concret. Dans une seconde phase, nous organiserons parallèlement des actions collectives, en rassemblant des indépendants qui partagent des soucis similaires (perte de clientèle, problèmes de loyer, questions de crédit bancaire, etc.). Une mise en commun qui permettra de délivrer un message encore plus efficace et cohérent. Mais aussi l’occasion de créer du lien et générer des synergies. »
Pour aller plus loin
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Vous vous demandez comment estimer le cash nécessaire pour assurer votre rebond.
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Pour préparer, dès aujourd’hui, votre rebond, n’hésitez pas à prendre contact avec le Centre pour Entreprises en Difficulté (CEd) de BECI! Une aide gratuite…
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Découvrez comment l’équipe régionale d’accompagnateurs et accompagnatrices peut aider votre entreprise dans le contexte de la crise du coronavirus. Une équipe qui réunit des compétences et expertises diverses, afin d’épauler les entreprises dans leur gestion de la crise et les aiguiller vers les partenaires adéquats. Intéressé(e) par cet accompagnement? Remplissez ce questionnaire afin de cerner votre problématique.
Notez que cet accompagnement ne couvre pas les questions relatives aux primes et mesures fédérales et régionales. Adresse-vous directement dans ce cas au 1819 via le n° 1819 ou par mail info@1819.brussels. N'oubliez de consulter le FAQ Coronavirus & entreprises.