La cession et la reprise d’une entreprise passent inévitablement par sa valorisation financière pour en connaître la valeur « objective » et dépassionnée.
Alors que certains sites en ligne offrent des valorisations « minute » au demeurant très approximatives, il convient de rappeler qu’un tel exercice est particulièrement complexe car au-delà des techniques dont nous parlerons, ci-dessous, il requiert expérience, maîtrise et méthode.
L’expert en valorisation procède au cas par cas, en personnalisant les critères retenus et les hypothèses sous-jacentes à partir des spécificités de la société à évaluer. Il/elle prendra en considération des éléments quantitatifs et qualitatifs tels que les états financiers, les comptes prévisionnels, les tendances sectorielles ou encore la position concurrentielle de l’entreprise sur son marché de référence.
Mais ne nous trompons pas, même s’il est difficile pour les experts de l’admettre, la valorisation ressemble plus à de l’alchimie qu’à une science exacte et, par conséquent, peut être sujette à de nombreuses discussions et interprétations selon la qualité et la fiabilité des critères et hypothèses mais également selon que vous soyez cédant ou repreneur.
Et comme une mauvaise nouvelle n’arrive jamais seule, en dépit d’une valorisation faite dans les règles de l’art, le prix finalement payé par l’acquéreur dépendra avant tout de la négociation entre les parties et de facteurs tels que le nombre d’acheteurs en lice, les synergies attendues, la différenciation stratégique et la situation macro-économique.
Quelles sont les méthodes de valorisations ?
Afin de déterminer la valeur d’entreprise, il existe des dizaines de méthodes mais celles qui sont le plus utilisées sont les approches patrimoniale, actuarielle et des comparables.
1. L'approche patrimoniale
L’approche patrimoniale valorise l’entreprise à un moment T sans se soucier des résultats futurs. Elle est généralement retenue pour la valorisation de sociétés immobilières et holdings, d’entreprises au rendement faible ou encore en difficulté.
Cette méthode appelée « actif net corrigé » (ANC) part de la valeur comptable des fonds propres de l’entreprise (càd ses dettes non-exigibles) corrigée des sous-évaluations et/ou surévaluations d’actifs et de passifs. L’idée sous-jacente est d’obtenir une image fidèle et fiable de la réalité économique du bilan.
Si les actifs sont surévalués, l’ANC sera revu à la baisse et si les passifs sont surévalués, l’ANC sera revu à la hausse et vice-versa.
Les corrections les plus courantes portent sur la différence entre la valeur comptable et la valeur économique des immobilisations incorporelles, immobilisations corporelles, les stocks, les créances commerciales et les provisions. Il est normal, par exemple, qu’un immeuble détenu au sein de l’entreprise ait une valeur comptable très inférieure à sa valeur de marché.
Il est à observer qu’il faudra également tenir compte des latences fiscales sur les corrections apportées à l’ANC.
Afin de palier au fait que l’ANC ne prend pas en considération la rentabilité de l’entreprise ni les résultats futurs, on pourra l’augmenter d’un Goodwill ou survaleur qui représente la profitabilité de l’entreprise excédant le rendement attendu par l’investisseur.
Le goodwill peut refléter différents aspects immatériels d’une entreprise comme par exemple sa notoriété, la satisfaction et la qualité de ses clients, l’expertise de ses employés ou encore ses brevets et/ou technologies développées.
2. L'approche actuarielle
Cette méthode part du postulat que l’entreprise vaut ce qu’elle rapporte. Elle se base sur l’actualisation des flux de trésorerie disponible (en anglais free cashflow) futurs de l’entreprise. Dans la littérature financière on parlera de Discounted Cash Flow (DCF).
L’actualisation est une technique financière qui permet de transformer des flux financiers futurs en une valeur présente équivalente. Un des fondements de la finance, c’est que le temps est de l’argent et par conséquent un euro que vous recevriez dans le futur a moins de valeur qu’un euro aujourd’hui que ce soit à cause de l’inflation ou des intérêts créditeurs que vous pourriez obtenir.
La trésorerie disponible mesure le montant disponible une fois que les investissements nécessaires à l’activité de l’entreprise ont été réalisés.
L’approche actuarielle se heurte à plusieurs obstacles dont la fiabilité des prévisions, la période de projection retenue et la détermination du taux d’actualisation :
- Concernant la fiabilité des résultats, tant courants que prévisionnels, il conviendra de procéder à certains retraitements comptables et de valider les hypothèses de croissance retenues eu égard au passé, aux tendances prévues et aux nouvelles initiatives prises.
- Concernant les prévisions, il est important qu’elles soient basées sur des hypothèses réalistes. Comme on peut l’imaginer, le cédant aura tendance à être plus optimiste que le candidat-repreneur, raison pour laquelle il est essentiel d’objectiver les choses.
- Quant à la période de projection, elle est généralement limitée allant de 5 ans à 8 ans. Pour le taux d’actualisation ou le taux de rendement attendu par l’investisseur, plus le risque sera important, plus il sera élevé. Un taux d’actualisation de minimum 10% pour un risque modéré est tout à fait réaliste.
Pour en savoir plus, suivez ce lien.
3. L'approche par les comparables
Il s’agit ici de valoriser une entreprise par comparaison avec d’autres entreprises représentant des caractéristiques communes (secteur d’activité, taille, maturité, …).
La difficulté de cette méthode est parfois la détermination d’un échantillon homogène, la récolte d’informations financières comparables et la recherche de données pertinentes.
En règle générale, cela se fait en utilisant des sociétés cotées en bourse dont les informations sont facilement accessibles au grand public et en appliquant une décote pour illiquidité sur les comparables obtenus.
La valeur d’une entreprise sera égale par exemple à X fois les bénéfices, Y fois le chiffre d’affaires ou Z fois l’excédent brut d’exploitation (en anglais l’EBITDA ou « Earnings Before Interests Taxes Depreciation and Amortization ») qui est égal au résultat d’exploitation augmenté des charges non-décaissées à savoir les amortissements et réductions de valeurs.
La méthode souvent utilisée par les praticiens, eu égard à sa simplicité, est le multiple de l’EBITDA. Après avoir retraité l’EBITDA, on y appliquera un multiple pour déterminer la valeur d’entreprise, c’est à dire la somme de ses fonds propres et de sa trésorerie (ou dette) nette.
En Belgique nous disposons d’une étude annuelle, M&A Monitor, réalisée par la Vlerick Business School avec le soutien, notamment, de la Sowaccess. Cette étude est basée sur l’interview d’une centaine d’experts en cession et acquisition et des transactions qu’ils ont finalisées. Selon le M&A Monitor 2020, la valeur d’entreprise représentait en moyenne 6,5X l’EBITDA avec un multiple de 5,1X pour les transactions en dessous de 1 million d’euros et de 8,2X pour les transactions entre 50 et 100 millions d’euros.
Les approches actuarielles et par comparables débouchent sur une valeur d’entreprise. Toutefois, afin de déterminer la valeur des parts sociales ou des actions, il faudra retrancher les dettes nettes ou ajouter la trésorerie nette.
Et le COVID-19 dans tout ça ?
Nous ne pouvons pas terminer cet article sans parler de l’impact du COVID-19 sur la valorisation des entreprises. Selon la Vlerick Business School, en 2020, le nombre de dossiers de transmission devrait être en baisse de plus de 30%, l’incertitude jouant tant du côté du cédant que du repreneur.
Selon le M&A Monitor 2020, 60% des experts interrogés s’attendent à une réduction des multiples de plus de 10% par rapport à l’an dernier.
Conclusion
La valorisation est un exercice rigoureux alliant techniques financières, éléments objectifs et des critères subjectifs qui nécessitent une compréhension intime de l’entreprise et de son environnement concurrentiel.
Le rôle de l’expert financier est primordial. Il/elle utilisera les méthodes les plus appropriées et n’hésitera pas à combiner plusieurs méthodes pour leur complémentarité et éventuellement les pondérer en fonction des circonstances spécifiques.
La valorisation débouchera sur une fourchette de prix et non sur une valeur absolue, immuable et inscrite dans le marbre.
In fine, nous devons nous rendre à l’évidence même si l’exercice de valorisation est fondamental, la seule vraie valeur sera le prix négocié entre les parties et qui résultera des négociations, de leurs objectifs respectifs et de rapports de force éventuels.
Auteur: Aslam Bakkali, Business Doctors