Direction rue de la Poudrière, au cœur d’un quartier bruxellois en pleine mutation, pour rencontrer les fondatrices de «Molleke», à la foi épicerie, café et siège d’ateliers pratiques, mais surtout lieu convivial ouvert à tous où la bienveillance et le respect de l’autre, producteur, collaborateur ou client, occupent une place de choix.
Les fondatrices de ce lieu ouvert dans des bâtiments appartenant à la Communauté Emmaüs La Poudrière sont au nombre de trois. Mais au quotidien, c’est surtout Alicia et Aline qui tiennent la barre de cet ancien entrepôt de meubles reconverti en épicerie attentive à la durabilité, au circuit court et respectueuse des producteurs, en café 100% local aux tarifs démocratiques pour rester accessible à tous, et en zone dédiée aux ateliers pratiques visant à transmettre un savoir-faire, le «bon sens fermier» cher aux fondatrices. Tessa, la troisième «molleke», prend en charge ces workshops en pleine renaissance après la crise de la Covid et apporte à ses deux complices une présence et un regard extérieur salutaire pour leur permettre de se recentrer sur leurs valeurs de base.
Curriculums vitae
Si toutes trois sont animées par de fortes convictions environnementales et humanistes, les fondatrices de Molleke ont puisé leur engagement dans des expériences très différentes. «Il y a dix ans, si on m’avait dit que je serais ici aujourd’hui, j’aurais bien ri !» lance Alicia, l’ancienne chef de projet dans l’industrie IT en Irlande qui, à son retour en Belgique, a éprouvé le besoin de rester fidèle à ses principes écoresponsables et de s’orienter vers le secteur associatif. Se succéderont alors pour elle un poste d’intendante de la serre de Parckfarm, une asbl dans le parc de la coulée verte, la création d’un marché fermier et l’animation d’un comptoir de La Ruche qui dit Oui à Molenbeek, ou encore la création de l’asbl Zéro Waste Belgium visant à promouvoir le zéro déchet. Et puis finalement la création de Molleke. «J’ai mis mes compétences professionnelles acquises depuis des années au profit d’un projet personnel porteur de sens», résume-t-elle. Tessa, amie de longue date d’Alicia, milite pour l’accès de tous aux savoirs vivriers, entre autre via le projet Molleke. Elle met à profit son profil de formatrice et d’artisane pour prendre en charge les ateliers. Quant à Aline, issue de La Poudrière et dotée d’une solide expérience en maraîchage et épicerie, elle a rejoint l’aventure alors que le projet de café et d’atelier était déjà bien avancé et que le nom était déjà choisi. «Je n’ai pas du tout la fibre pédagogique, même si je trouvais l’idée d’ateliers géniale, observe-t-elle. Grâce à mon expérience personnelle, j’ai pu apporter une troisième pierre au projet.» Bien lui en a prit !
Foncer et s’adapter
La Covid a en effet débarqué tout juste une semaine après l’ouverture de Molleke. Les trois associées pensaient initialement mettre l’accent sur le café et les ateliers tout en développant progressivement l’épicerie grâce à leur webshop. En raison des circonstances, la création d’un webshop en coopérative avec les producteurs a pris le pas sur le magasin physique. Forte de l’expérience avec la Ruche qui dit Oui de Molenbeek, Alicia a été suivie par les consommateurs ainsi que les producteurs dans cette folle aventure via le webshop. « Trouver des solutions aux problèmes fait partie de notre ADN, constatent-elles. Cela définit bien notre projet. On aurait pu jeter le gant parce que la situation divergeait trop de nos prévisions. Dans cette période, rien n’était certain et nous nous disions que s’il y avait moyen de faire quelque chose pour aider les gens, il ne fallait pas hésiter. Une partie de nous était très innocente, ‘naïve’. On ne pensait pas que la Covid irait aussi loin. On a baissé la tête et on a avancé. Cela nous a en tout cas permis de ne pas couler. » Le webshop a doucement ouvert le chemin à une épicerie physique qui existe toujours au 64 rue de la Poudrière.
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Circuit court plutôt que bio
Tout n’est pas bio dans l’épicerie de Molleke. «Ce n’est pas notre objectif, indique Aline. Nous ne voulons pas fermer la porte aux petits producteurs qui ne veulent pas se payer le label pour des raisons politiques, ou n’y arrivent pas. » Et Alicia précise : « On a longuement réfléchi avant de renoncer à ce label parce qu’il est tout de même gage de qualité. Chez nous, tout n’est pas bio mais tout est local. Nous avons une charte de qualité, mais aussi de valeurs. Nous savons comment nos fournisseurs travaillent leurs terres, nous nous en portons garantes. Mais les valeurs humaines sont aussi hyper importantes pour nous. Pas question par exemple de travailler avec des gens qui ne traitent pas bien leur personnel même s’ils proposent de très bons produits. On espère que nos clients retrouvent cela dans l’accueil qu’ils reçoivent. Parfois, ils nous demandent les raisons de certains choix. On leur explique et ils comprennent. »
Les secrets de la réussite
Aujourd’hui, l’épicerie est plus que jamais active. Elle attire une clientèle très diversifiée, habitants du quartier qui la considèrent comme un commerce de proximité à la grande satisfaction de ses créatrices, mais aussi résidants du quartier Dansaert tout proche, ainsi que clients issus de quartiers plus éloignés séduits par la philosophie de Molleke, et visiteurs de passage toujours bienvenus. Le café et les ateliers ont retrouvé leurs habitués et ont repris leur développement au cours de l’année 2022.
Comment expliquer la réussite d’un projet mis sur pied sans aucun fond propre ? « Association de fait au départ, nous voulions un format qui ait du sens, explique Alicia. Nous avions pensé à la coopérative, mais il aurait fallu être plus que trois personnes et avoir des fonds, toutes conditions que nous ne remplissions pas. Nous avons donc adopté le format asbl et nous en avons rejoint la coopérative Linked Farm, une coopérative de ‘hubs’, des points centralisateurs qui distribuent des fruits et des légumes en circuit court, ainsi que de producteurs dont nos deux maraîchers, nos deux fromagers et même un de nos grossistes, et des investisseurs. Nous nous impliquons beaucoup dans cette coopérative. »
Le guichet d"economie local Village Partenaire a aidé les trois jeunes femmes à structurer leur projet mais elles ont vite volé de leurs propres ailes. Et elles insistent : «Nous n’avons contracté aucun prêt et nous faisons en sorte de minimiser nos coûts. Nous utilisons des meubles de seconde main. Nous n’avons rien acheté de neuf. Nous ne payons qu’un loyer très modeste à La Poudrière, ce qui nous aide beaucoup. Et dans le milieu, tout le monde se connaît et s’entraide. Financièrement, le projet évolue donc gentiment mais sûrement. » Depuis janvier 2022, elles peuvent donc se rémunérer à mi-temps. «Ce qui signifie qu’on n’est plus bénévoles à 100% mais à 50% », se félicitent-elles.
Collaborations diverses
Tout cela ne serait pas possible sans aides extérieures. Depuis le début, Molleke peut compter sur une équipe de bénévoles, dont certains fidèles depuis l’ouverture. « Nous tenons à ce que la distribution des commandes du webshop qui a lieu le vendredi soit assurée par des bénévoles pour préserver le principe de clients qui donnent de leur temps pour d’autres clients dans une très bonne ambiance.» Cela fait quelques mois aussi que des étudiants et des stagiaires en insertion sociale, des jeunes qui travaillent et étudient en même temps, ont rejoint l’équipe. « L'encadrement, le partage de savoirs fait aussi partie de notre mission en tant qu’asbl, insiste Alicia. Leur moyenne d’âge est de 17 ans. On essaie de leur donner un peu de structure, de conscience au travail, de leur apprendre qu’on peut travailler dans des conditions agréables mais travailler quand même. »
Leur lien avec la Poudrière est aussi particulier et privilégié. Sans la confiance et le soutien de cette institution, Molleke ne serait pas là aujourd’hui. Le comité de quartier « Adopt Ninop » dont Molleke fait aussi partie, constitue également un très grand soutien. « Il nous maintient proches des besoins du quartier », résument-elles.
Et demain ?
« On ne pensait pas être encore ouvertes aujourd'hui », sourient-elles avant de constater : «Tous les efforts consentis pendant les confinements ont eu des conséquences. Un jour, nous avons réalisé que nous ne tiendrions jamais sur la longueur, qu’il fallait que nous baissions le rythme. Nous sommes donc en plein questionnement, nous qui attachons tant d’importance à l’humain: comment aménager notre temps de travail, notre vie de famille? Après s’être tant occupées des autres, il était peut-être temps qu’on s’occupe un peu de nous.» Dans la foulée, elles ont décidé de réduire leur horaire à un 4/5 temps bien mérité et à alterner leur présence sur place.
Passage de témoin
Alicia et Aline ont aussi tiré quelques autres enseignements de leur expérience. Pour la première, ils se résument en quelques mots : persévérance et confiance en soi. « Demander de l’aide ou des conseils – au 1819 par exemple – est une bonne chose mais personne ne créera votre projet à votre place », précise-t-elle. Polyvalence aussi. « Elle fait notre force. Sans elle, nous ne nous en serions pas sorties aussi bien pendant l’épidémie de covid. » Et s’attendre à ne pas gagner d’argent pendant quelques années. La seconde ajoute : «Rebondir quelle que soit la crise. On se retrouve en effet très vite le nez dans le guidon à ne plus pouvoir lever la tête tant il y a de choses à faire. » Et elles se font les interprètes de Tessa pour conseiller de ne pas oublier ses valeurs de base, de revenir régulièrement à sa mission première et de vérifier qu’elle est toujours d’actualité.
Où trouver molleke?Molleke se trouve au 64 rue de la Poudrière 1000 Bruxelles
Le webshop : webshop.molleke.com (également accessible via leur site web principal…) Sur les réseaux : |