Que fait-on quand, lors d’une sortie au restaurant, on passe plus de temps à chercher une place de parking qu’en bonne compagnie autour de la table? On en parle avec ses convives qui sont aussi des amis de longue date. Et dans la foulée, on crée une appli innovante et gratuite dédiée à la multimodalité.
C’est en tout cas ce qu’ont fait Sébastien Curnel, Arnaud Lieutenant et Sandrine Haenecour qui nous raconte l’histoire belle mais un peu bousculée par le covid-19 de Joyn Joyn rapidement devenu Jeasy. « Il nous a semblé que quelque chose n’allait pas dans la mobilité et nous avons eu envie d’apporter notre pierre à l’édifice car il est trop facile de critiquer sans rien faire », détaille-t-elle. « Nous avions envie de contribuer à la société. »
Ode à la multimodalité
À l’origine de cette démarche, une constatation : beaucoup de déplacements s’effectuent avec un seul moyen de transport : la voiture, ou le vélo, ou les transports en commun. Très peu combinent de manière intelligente ces différents modes tout simplement parce que les combinaisons possibles sont mal connues. À ses débuts, le trio se proposait donc d’aider les utilisateurs à découvrir les solutions leur permettant de développer une forme de multimodalité confortable grâce à une appli essentiellement proposée en B2B. « Dès son lancement en 2018, Joyn Joyn a rencontré un joli succès », raconte Sandrine Haenecour. « Mais avec le début de la crise du covid-19, nous avons dû nous rendre à l’évidence : en période de pandémie, la mobilité n’est clairement pas la priorité des entreprises. Il a donc fallu se recentrer, faire preuve de beaucoup de flexibilité et de résilience, adapter notre business modèle, réfléchir et envisager ce qu’il y avait moyen de faire sur base des ressources que nous avions déjà créées. »
Du B2B au B2C et de Joyn Joyn à Jeasy
Les trois amis décident alors de privilégier le B2C et d’utiliser la multimodalité comme un outil plutôt que comme une fin en soi, « parce que les gens continuent de bouger », explique Sandrine Haenecour. Leur objectif est clair : encourager une mobilité plus verte en la promouvant et la soutenant grâce à deux dispositifs très efficaces disponibles sur l’application Jeasy (jeasy.ai) qui use un algorithme innovant et est accessible gratuitement sur Android et IOS.
D’une part, un véritable coach permet à l’utilisateur d’optimaliser ses trajets en fonction du parcours à accomplir et de ses préférences en termes de mode de déplacement sur base du paramétrage qu’il aura introduit individuellement. Et d’autre part, un processus de récompense très prisé du consommateur belge permet à l’utilisateur de gagner des points directement proportionnels aux économies de CO2 réalisées chaque fois qu’il opte pour un moyen de transport moins polluant que la voiture. Ces points accumulés sont échangeables contre des avantages offerts via les partenaires de Jeasy (FNAC, HelloFresh, journaux, location de vélos-cargos,…) qui sont déjà nombreux mais dont les créateurs de Jeasy sont prêts à allonger la liste.
« C'est un concept complètement innovant, unique!», s’exclame Sandrine Haenecour qui reconnaît que le processus prendra un certain temps: « Passer du jour au lendemain d’une voiture de société au vélo et aux transports en commun est un énorme changement qui ne peut être que progressif. Nous voulons en être les accompagnateurs. Il ne s’agit évidemment pas d’exclure la voiture qui reste le maître choix dans certaines circonstances, mais bien de proposer des alternatives, des combinaisons intelligentes. »
Un trio parfaitement complémentaire
Si l’idée peut paraître lumineuse et le principe simple, la mise en œuvre et la valorisation sont plus délicates. «Dans l’équipe, nous sommes heureusement trois moteurs parfaitement complémentaires. Avec sa formation d’ingénieur commercial et son expérience de chef d’entreprise, Sébastien Curnel, notre CEO, possède le profil entrepreneurial indispensable. Arnaud Lieutenant, familier du monde de l’informatique et du développement durable, est le spécialiste IT qu’il nous fallait. En effet, il y a dans notre projet une énorme part de recherche et développement et une vraie innovation pour laquelle son expertise est précieuse. Quant à moi, je m’occupe de tout ce qui est communication et marketing parce qu’il est très important de communiquer et transmettre ce que l’on fait. Comme j’ai passé quelques années en expatriation au Texas, nous en sommes arrivés à organiser nos réunions par visioconférence avec un décalage horaire de sept heures ! Cela rallongeait considérablement nos journées de travail mais a aussi a renforcé l’équipe et nous a amenés à encore plus de flexibilité. »
Challenge ou opportunité ?
La pandémie de covid-19 a contraint les créateurs de Jeasy à réinventer leur modèle. Un contretemps certes, mais pas de quoi déstabiliser Sandrine Haenecour qui observe : « Je pense que c’est dans ce genre de crise que l’on rebondit ou que l’on coule. Même si nous pensions détenir un concept très fort, la pandémie nous a forcés à reconsidérer notre business model, à revoir nos hypothèses, nos objectifs et à finalement tenter le tout pour le tout en privilégiant l’option qui nous semblait tenable dans les nouvelles conditions de marché.
Aujourd’hui, nous sommes très fiers et très satisfaits de ce que nous avons réalisé. Nous constatons que notre offre est attractive, qu’elle répond à une demande, que les utilisateurs et les sociétés partenaires sont avec nous. C’est un challenge qui s’est transformé en opportunité. De même, nous avons dû modifier notre nom parce qu’il était trop proche de celui d’une autre société. Nous étions à la veille d’une grosse levée de fonds et avons profité de cette péripétie pour expliquer notre démarche, notre évolution. »
Aides et subsides, précieux outils
Pour les startups, il est important de disposer de suffisamment de fonds pour tenir le coup. Toutes les aides sont donc les bienvenues. Sandrine Haenecour et ses associés ont postulé pour différents programmes : « Au tout début, nous avons été sélectionnés dans un programme de la KBC grâce auquel nous avons pu disposer de locaux et de l’aide d’experts qui nous ont aiguillés vers un bon comptable, un bon juriste, etc. », précise-t-elle. « Nous avons fait différentes demandes et avons bénéficié de subsides d’ordre de grandeur variable de la part d’Innoviris, Bruxelles Économie et Emploi, Bruxelles Environnement et Smart Brussels. Nous nous sommes aussi adressés à hub.brussels qui nous a fourni un accompagnement. » Elle tient à mettre en garde: «Ce type d’aide ne vient pas tout seul. Il faut aller la chercher et parfois faire face à des demandes de subsides complexes et lourdes. Je pense que l’aide est là pour ceux qui la cherchent. »
« Panique mais fais-le quand même »
Sur sa lancée, Sandrine Haenecour n’hésite pas à partager quelques conseils qui pourraient s’avérer bien utiles aux aspirants-entrepreneur : « Avant tout, il faut veiller à bien s’entourer. Nous avons tous nos idées bien à nous, nos capacités et nos compétences propres. Mais personne n’est polyvalent. Il n’est pas possible de tout maîtriser. Il faut donc s’entourer de personnes bien au fait des spécificités des startups et de l’entrepreneuriat. À titre plus personnel, je dirais ‘panique mais fais-le quand même’. Il faut sortir de sa zone de confort, il faut oser. Avec des risques calculés bien sûr. Mais si l’on se retrouve dans la peau d’un entrepreneur, c’est qu’on a déjà ce petit grain de folie… »
Interview : Catherine Aerts