Sortir du chômage en créant son propre emploi ? C’est possible ! Des dizaines de chômeurs le font chaque année avec l’aide des trois coopératives d’activités bruxelloises, Bruxelles Emergences, DEBUuT et Baticrea – la petite dernière qui a été créée en 2013 pour couvrir les métiers du bâtiment. Ces trois organismes ont pour mission d’accompagner les chômeurs qui veulent devenir indépendant. Interview avec Joël Beeckman, le directeur général de l’asbl Jobyourself, la structure qui chapeaute les trois coopératives d’activités.
Pour bien fixer les idées, c’est quoi une coopérative d'activité ?
Joël Beeckman : « Il s’agit tout simplement d’une société non-commerciale subsidiée par les pouvoir publics dont la mission – encadrée par la loi – consiste à accompagner les demandeurs d'emploi et les allocataires sociaux qui souhaitent tester une activité professionnelle indépendante dans la vraie vie tout en conservant le bénéfice de leurs allocations de chômage pendant une période de temps limitée à 18 mois. »
A quel(s) profil(s) de personnes l’accompagnement que vous proposez est-il destiné ?
Joël Beeckman : « Le dispositif que nous mettons en œuvre est réservé aux chômeurs indemnisés qui ont au moins 156 jours de chômage actif, sachant que, pour les chômeurs âgés (50 ans et plus), 78 jours de chômage actif suffisent. Pour le reste, il n’y a pas de profil particulier en termes de diplômes ou d’expérience professionnelle, si ce n’est, bien sûr, que nous cherchons des personnes avec une solide envie d’entreprendre, des gens faits pour être indépendants – tout le monde n’est pas fait pour ça.
Autre point important : nous attendons du chômeur ou de l’allocataire social qui s’adressent à nous qu’ils aient un projet d'entreprise déjà un peu mûri. Il ne suffit pas de se lever un matin et d’avoir une idée pour nous appeler dans l’après-midi… Ce n’est qu’à partir du moment où le projet a pris un peu forme que nous accompagnons le futur indépendant pour l’aider à construire son entreprise. On commence par vérifier avec lui que son projet est effectivement viable, qu'il peut être rentable, etc. Mais nous l’aidons surtout à devenir un vrai gérant d'entreprise, on lui explique comment fonctionne le commerce, etc. Bref, notre accompagnement touche à toutes les facettes de la création d'une entreprise à partir d’un projet personnel. »
Quel est le profil des gens qui se présentent effectivement chez vous ?
Joël Beeckman : « Nous accueillons une majorité de gens avec une formation supérieure, qu'elle soit de type court ou universitaire. C’est un constat. Mais, en même temps, et c’est un autre constat, les candidats avec une formation supérieure ne réussissent pas nécessairement mieux que ceux dont le parcours scolaire se limite aux humanités. En fait, nous constatons même que ceux qui réussissent le mieux ont généralement moins de diplômes mais sont aussi plus proches du terrain, plus pragmatiques. Les universitaires – pas tous évidemment ! – ont tendance à plus intellectualiser leur projet, à prendre plus de temps pour le faire mûrir et, parfois, ils peuvent avoir du mal à passer à l'acte, à se lancer donc. Nous cherchons également à atteindre d’avantage de personnes ayant une qualification moins grande et qui souhaitent démarrer leur projet. »
Au-delà des différences entre les candidats entrepreneurs, est-ce que vous leur proposez un parcours type ou bien essayez-vous d'individualiser la démarche dès le départ ?
Joël Beeckman : « Nous avons mis au point un parcours type. D’abord, l'inscription. Elle se fait par un formulaire sur internet. Ensuite, une réunion avec toutes les personnes intéressées. Dans notre jargon, nous parlons du « 120 minutes ». Là, nous expliquons qui nous sommes, ce que nous faisons, ce que nous attendons des gens que nous allons accompagner, etc. Nous répondons à toutes les questions posées et, par la suite, c'est à chacun des participants de décider si, oui ou non, il est intéressé.
Ceux qui sont intéressés résument alors leur projet professionnel et nous le font parvenir par mail. Nous les contactons ensuite pour les inviter à participer à une deuxième réunion qui va servir à les préparer à entrer dans le processus de création de leur entreprise. Cette fois, la réunion dure 150 minutes et, là, nous vérifions s'ils font bien partie du public cible au regard de la loi et, surtout, nous leur apprenons à faire un pitch de leur future activité, c’est-à-dire à expliquer en quelques phrases leur projet d’entrepreneur.
Nous leur apprenons aussi à faire un SWOT, c'est-à-dire une analyse stratégique de leur future entreprise sur quatre axes : forces, faiblesses, opportunités du marché et menaces. Une fois ces deux étapes franchies, les futurs indépendants entrent vraiment dans la phase de développement du projet avec accompagnement de nos coaches. La durée de cette phase est généralement de 6 mois mais, dans certains cas, quand le projet est vraiment mûr, bien ficelé, on peut se limiter à 15 jours. »
Et une fois que le projet est mûr, que proposez-vous concrètement aux candidats entrepreneurs ?
Joël Beeckman : « Ce que la plupart des gens viennent chercher ici : la phase de test en conditions réelles. Le demandeur d'emploi propose ses produits et services au marché, tout en gardant le bénéfice de ses allocations de chômage. Cette confrontation au marché est évidemment essentielle, elle va permettre au porteur de projet de vérifier que son produit et/ou son service répondent vraiment à une demande. A charge pour lui, le cas échéant, de voir comment faire évoluer le produit ou le service. Il va aussi commencer à générer un chiffre d'affaires et se constituer une clientèle. Et, au bout de 18 mois, créer vraiment son entreprise – ou pas. Car il n'a pas l'obligation de créer son entreprise. Si le demandeur d'emploi ne crée pas son entreprise, il retrouve la situation qui prévalait avant de se lancer dans ce processus : soit il avait encore droit aux allocations de chômage, et il retrouve ce droit, soit il était en fin de droits et là, il revient à cette situation de fin de droits. »
Est-ce que l’accompagnement que vous proposez débouche à coup sûr sur la création d’une entreprise ?
Joël Beeckman : « Non. Il faut bien voir que, chaque année, entre 1500 et 2000 personnes participent à nos séances d’information collectives, nos fameux « 120 minutes ». A priori donc, elles envisagent de créer leur propre emploi. Mais, sur ce total, 500 à 600 personnes nous envoient effectivement un dossier de candidature en bonne et due forme.
Et pourtant, ils ne seront plus « que » 300-350 à bénéficier réellement de l’accompagnement de nos 17 coaches. Pour nous, ça fait tout de même beaucoup de monde, on n’a pas trop le temps de se reposer… Quant à ce que nous appelons les « issues positives », c’est-à-dire les créations d’entreprise et le retour au salariat mi-temps avec activité d’indépendant complémentaire, on en a enregistré 110 en 2013. Et pour 2014, on sera à peu près au même niveau d’issues positives qu’en 2013. »
Est-ce qu’à priori vous acceptez d’accompagner des porteurs de projet dans tous les domaines d’activité possibles ?
Joël Beeckman : « Non. Nous laissons de côté une série de secteurs, comme les projets de commerce (parce qu’ils nécessitent la signature d'un bail commercial), les projets horeca, les programmes d'import-export nécessitant des moyens financiers importants, plus globalement les projets nécessitant des stocks et des investissements importants (notre public est constitué de chômeurs dont les moyens financiers sont limités !) et puis, bien sûr, les métiers pour lesquels l'ordre professionnel ne l'autorise pas (comptables, avocats, etc.).
Pour le reste, les projets que nous accompagnons se situent à 95% dans le domaine des services, que ce soit aux entreprises ou aux personnes. Et il y a une grande variété d’horizons professionnels : nous avons accompagné des gens avec une formation de coiffeur, plombier, journaliste, vétérinaire, traducteurs, etc. »
Un mot sur vos ressources : d’où viennent-elles ?
Joël Beeckman : « Notre financement relève à 70% du secteur public (Région de Bruxelles-Capitale, SFP Intégration sociale, Fonds social européen, etc.), le reste vient d’une série de mécènes (Fondation Pulse, Solvay, Umicore) et de nos fonds propres. Il faut en effet savoir que l’accompagnement que nous proposons aux chômeurs est totalement gratuit.
Mais, une fois que leur activité commerciale a commencé (et qu’ils continuent à percevoir leurs indemnités de chômage) et qu'ils génèrent un chiffre d'affaires, ils nous versent 10% de leur marge brute, ce qui nous donne des fonds propres supplémentaires. Leur contribution nous est due uniquement pendant la période où ils sont accompagnés sous le régime de la dispense, c'est-à-dire 18 mois maximum. Une fois qu'ils se sont lancés, qu'ils ont créé leur entreprise, le lien est coupé, ils ne nous versent plus rien. »
Interview : Adrien Mintiens
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