La Belgique, pays de la bière, un cliché ? Sans doute, en partie au moins. Mais il n’empêche que ce produit, plutôt traditionnel à la base, semble à nouveau inspirer nos entrepreneurs.
Intéressons-nous donc aujourd’hui au grand retour des microbrasseries, phénomène mondial c’est sûr, mais auquel n’échappe évidemment pas la Belgique, terroir de prédilection pour les bières artisanales. Certes, le plus grand brasseur au monde, ABINBev, est belge à l’origine, mais fort heureusement, la richesse brassicole de notre pays ne s’arrête pas là. On assiste en effet depuis quelques années, et sur l’ensemble du territoire national, à l’éclosion de nombreux projets, artisanaux pour la plupart, mais qui n’en sont parfois pas moins innovants.
Nous vous proposons d’épingler ici quelques-uns de ces projets, emblématiques du renouveau de cette industrie à Bruxelles. Mais avant cela, bref retour en arrière pour poser le contexte…
A l’ère de la mondialisation, un irréductible petit producteur local résistait, encore et toujours…
Saviez-vous qu’l y a quelques années à peine, ne subsistait plus guère à Bruxelles qu’un seul et unique brasseur : Cantillon, une véritable institution née en l’an de grâce 1900, à l’époque où Bruxelles Brusselait, et où plus d’une centaine de brasseries étaient en activité à Bruxelles. Aujourd’hui encore, la visite de Cantillon et du Musée de la Gueuze justifie à elle seule le pèlerinage de milliers de zythologues en provenance des 4 coins du globe… Profondément ancrée dans le terroir bruxellois, la légende de l’entreprise veut en fait que la production du précieux lambic, dont la qualité est intimement liée aux levures qui vivent en ses murs, ne saurait être délocalisée. Une valeur patrimoniale donc, mais pas que puisque Cantillon annonçait fin 2014 avoir acquis les locaux d’une ancienne brasserie toute proche avec pour objectif de doubler sa production !
L’amour de la bière était solidement ancré dans les gênes des bruxellois, et la relève n’était pas loin…
Dans le petit monde de l’entrepreneuriat bruxellois, on se rappelle encore le temps pas si lointain où Yvan Debaets et Bernard Leboucq, hantaient la ville en quête du lieu idéal pour y établir la Brasserie de la Senne. Et c’est en 2010 que ces 2 passionnés dénichent finalement le graal sur le territoire de la commune de Molenbeek, grâce à citydev.brussels (ex SDRB). Depuis, la jeune pousse a bien grandi puisque, en 5 ans à peine, la production est passée de 2.000 à 8.000 hectolitres annuels. Là encore, sur le plan du produit, c’est la tradition qui prévaut. Des bières de caractère, de qualité, sans concession.
Et tout de même une touche d’originalité au niveau du graphisme, coloré, très inspiré de l’imagerie des années 1920-30 et du folklore bruxellois. C’est ainsi que voient le jour la « Zinnebier », la « Brusseleir » ou encore la « Jambe-de-Bois »... Bien que les breuvages soient surtout (et délibérément) distribués localement, le succès est tel que l’entreprise prévoit d’emménager prochainement sur un terrain du Port de Bruxelles, juste à côté du site de Tour & Taxis. Objectif : 15.000, puis 25.000 hectolitres !
Produit, business model… l’innovation à tous les étages
C’est dans ce paysage qu’arrivent les « p’tits nouveaux » du Brussels Beer Project, officiellement lancé en 2013, et tout récemment promu « Bruxellois de l’Année » !
Acte 1 : un projet éminemment sympathique, original, mais pas de vrais brasseurs
Là, pour le coup, on sort clairement de la tradition. Non seulement les produits sont innovants puisque le concept est de proposer au public des bières atypiques, qui puisent leur inspiration dans les terroirs et cultures d’ici et d’ailleurs (« Babeleir », « Dark Sister », « Grosse Bertha »...), mais au-delà du produit, le business model lui-même est une petite révolution ! Au point que les acteurs dans la place lui réservent au départ un accueil, disons… mitigé, les qualifiant de marketeurs plus que de brasseurs.
Et de fait, dans un premier temps, l’entreprise ne produit rien elle-même, mais fait énormément parler d’elle avec un projet innovant et collaboratif. L’idée ? Proposer aux bruxellois différentes créations originales, pour n’en retenir et n’en commercialiser qu’une : celle qu’aura plébiscitée le public. Le public qui aura en outre la possibilité de contribuer financièrement au projet au travers d’une opération de crowdfunding maison baptisée « Beer for Life ».
Mais la production ? nous demanderez-vous très pertinemment… Eh bien, la production « de masse » est confiée à un partenaire limbourgeois qui brasse à façon et donne entière satisfaction à nos jeunes entrepreneurs, qui ne sont ainsi pas tenus d’investir lourdement dans une infrastructure industrielle.
Acte 2 : de marketeurs à brasseurs
Nos jeunes entrepreneurs assument pleinement leur modèle, mais n’ambitionnent pas moins, depuis le départ, de monter une véritable microbrasserie sur Bruxelles. Et c’est finalement sur un local du quartier Dansaert, à 2 pas du canal, qu’ils jettent leur dévolu. Mais que l’on ne se méprenne pas ! L’idée n’est pas tant de se muer en industriels, que de se rapprocher plus encore du public. De quelle manière ? En brassant eux-mêmes de nouvelles bières tout au long de l’année, dans un établissement qui se situe à mi-chemin entre la microbrasserie et… le bar à bières.
On y produit, certes, mais de petites quantités, de produits régulièrement renouvelés. Les brassins destinés à la grande distribution, à l’export… sont toujours confiés à un partenaire externe, et cela ne devrait pas changer. Mais les fondateurs, Olivier de Brauwere et Sébastien Morvan, entourés de leur équipe, sont à présent en mesure d’innover continuellement sur les produits, et de confronter sans délai leurs nouvelles créations au client.
Résultat : un business model à la croisée des chemins. Un positionnement sur la chaîne de valeurs tout à fait neuf sur un marché jusqu’ici très traditionnel, un modèle basé sur la co-création, qui fait la part belle à la relation client… Et un succès qui ne se dément pas jusqu’ici.
En Stoemelings… un démarrage… discret
Officiellement ouverte en 2015, la 4ième brasserie de Bruxelles (en fait la 3ième pour être exact puisque Brussels Beer Project ne brassait pas encore à ce moment), occupe une place plus confidentielle, mais grandit lentement et, espérons-le, sûrement. L’image de marque, comme pour la Brasserie de la Senne, s’inspire fortement de la culture bruxelloise. C’est ainsi que vous pourrez déguster une « Curieuze Neus, une « Tram Jaune », ou encore une « Chike Madame »… Le nom de la brasserie lui-même, « En Stoemelings », est emprunté au dialecte bruxellois. Pour les moins brusseleir d’entre nos lecteurs, notez que l’expression « en stoemelings » signifie « en douce », « en cachette ».
La nouveauté 2016 ? L’entreprise livre… enfin, et à vélo !
4 brasseries à Bruxelles… Et c’est tout ?
Eh bien oui et non… Au sens strict, oui, nous venons de le voir mais…
D’une part, nous sommes bien placés au 1819 et chez hub.brussels pour savoir que d’autres projets sont dans les starting-blocks. Patience, certains pourraient bien émerger dans les prochains mois…
L’on sait par ailleurs que certains entrepreneurs, qui brassent ou font brasser (comme le faisait Beer Projet au cours de ses 2 premières années) hors de Bruxelles, caressent l’idée d’y installer leur production, l’un des défis majeurs mais pas insurmontables, étant de dégoter un lieu d’implantation adapté.
Nous pourrions également citer une marque récente telle que la Brasserie de la Cambre, qui joue clairement de l’image bruxelloise, sans pour autant être produite à Bruxelles. Du moins pour l’instant…
Enfin, d’autres modèles émergent, plus ou moins inspirés de ce qui se fait déjà.
Par exemple, connaissez-vous Beerstorming ? Le concept : des groupes de visiteurs se voient offrir la possibilité de concocter leur propre recette de bière. Pour déguster leur création, il leur faudra patienter quelques semaines, le temps pour le brassin d’arriver à maturation.
Un petit événement privé, un business incentive, quelques bouteilles produites et puis s’en va ?
Eh bien non, pas tout à fait… Toutes ces créations éphémères sont ensuite soumises aux votes du public et, une fois par trimestre, l’une d’entre elles est commercialisée, et ses créateurs reçoivent un pourcentage sur les ventes réalisées.
Un petit dernier pour la route ? Bars à bières et magasins de bières foisonnent, mais certains, comme Malt Attacks, se démarquent et proposent, outre un assortiment très large de bières belges et étrangères, des kits « brew it yourself » pour faire vos armes chez vous en tant que brasseur amateur…
Et si la bière ne m’intéresse pas, je fais quoi de toute cette info ?
Eh bien on constate qu’au-delà du produit, de la petite histoire, tradition et innovation peuvent faire bon ménage, et que le potentiel commercial d’une entreprise ne dépend pas que de la qualité ou de l’originalité de ses produits, mais repose aussi parfois sur une innovation de business model…
Ces innovations-ci sont-elles toutes vouées au succès ? Seul l’avenir nous le dira…
Mais comme toujours, la pérennité de ces projets entrepreneuriaux dépendra, avant toute autre chose, de l’aptitude des entrepreneurs à rester réellement à l’écoute du marché, et de leur capacité à se remettre en question et à s’ajuster rapidement aux évolutions d’un monde en perpétuel changement.
Sources: