Recruter les bons patients pour les bons essais cliniques... Ça n'a l'air de rien et pourtant, c'est loin d'être évident. Raison pour laquelle les trois hôpitaux universitaires de Bruxelles (Saint-Luc, Erasme et UZ Jette) ont soutenu la création de l'asbl ClinicoBru – dont le métier est précisément de recruter des patients pour les études cliniques. Interview avec Florence Bosco, general manager de l'asbl ClinicoBru.
Comment cette histoire a-t-elle commencé ?
Florence Bosco : « Elle a commencé en 2012 lorsque la Région de Bruxelles Capitale a octroyé un financement aux trois universités pour les aider à professionnaliser leur recherche. Il y avait en fait deux objectifs dans ce projet :
- Obtenir une accréditation selon un standard international – développé aux Etats-Unis – qui protège le patient ;
- Créer une plateforme commune à Bruxelles pour les études cliniques de manière à améliorer l’interface entre les médecins investigateurs et les sociétés pharmaceutiques.
L'asbl en tant que telle a été créée en 2014. Nous avons choisi cette forme d'organisation pour une question de crédibilité par rapport à nos interlocuteurs : notre but est d’améliorer l’accès des patients aux études cliniques, d’aider les médecins et les sociétés pharmaceutiques – ce sont elles qui nous paient au prix coûtant – pas de faire du bénéfice. »
Est-ce qu'on peut dire que vous avez trois publics, les patients, les médecins investigateurs et les sociétés pharmaceutiques ?
Florence Bosco : « Oui. Les sociétés pharmaceutiques ont besoin d'efficacité dans le recrutement de patients pour les essais cliniques parce qu'elles doivent faire en sorte que les médicaments en développement arrivent le plus vite possible sur le marché. Quant aux médecins investigateurs qui se lancent dans une étude clinique, il faut bien comprendre que cela leur demande un gros investissement et ils doivent recruter un nombre de patients suffisants pour que leur étude clinique soit scientifiquement solide. Et le troisième interlocuteur, c’est le patient.
Il est vrai que, pour le moment, nous n’avons pas encore de communication directe avec les patients ; nous nous efforçons plutôt d’impliquer la communauté médicale autour du médecin investigateur de la manière la plus large possible pour qu’elle soit, elle, le relais vers le patient. Je pense qu’à ce stade, c’est elle, la communauté médicale, qui est la mieux placée pour jouer ce rôle vis-à-vis du patient. »
Et concrètement, ça se passe comment pour une société pharmaceutique qui veut développer un médicament et a besoin de patients pour tester la molécule ?
Florence Bosco : « Tout au début, quand nous n’étions pas connus, nous nous sommes fait connaître dans le milieu pharmaceutique en lançant ce qu’on pourrait appeler des opérations de sauvetage, c’est-à-dire intervenir dans des études où le recrutement de patients était un peu en difficulté. Il faut savoir que les médecins investigateurs s’engagent auprès des sociétés pharmaceutiques à conduire leur étude clinique auprès de « x » patients pendant une période déterminée. Mais parfois, ça coince et nous, on s’est d’abord exercés sur ces cas-là, après avoir fait, il est vrai, plusieurs démarches pour nous faire connaître des médecins investigateurs et des laboratoires pharmaceutiques.
Maintenant, nous essayons d’accélérer notre développement en intervenant dans l’étude depuis la phase d’identification des sites investigateurs par les sociétés pharmaceutiques, parce que c’est à ce moment-là qu’on peut le mieux mettre en place une stratégie de recrutement proactive et ne pas se retrouver en train de courir derrière le temps à la fin de l’étude. »
Combien de recrutements avez-vous pu réaliser depuis le début de vos activités ?
Florence Bosco : « Le projet a été lancé en 2012 mais c'est seulement en novembre 2014 que l'asbl été effectivement créée et que ses missions ont été définies avec précision au terme d'un accord entre les trois hôpitaux universitaires. Depuis, on a reçu une centaine de demandes de tout type. Nos services ont permis de recruter 30 patients pour les 8 études dont nous nous occupons, 30 patients sur les 46 requis – et enrôlés – dans ces études. 30, ça vous paraîtra peut-être peu en chiffres absolus mais 30 sur 46 c’est un beau ratio pour un service en développement.
Il faut savoir que le nombre de patients requis varie en fonction des domaines thérapeutiques. Exemple, dans les études pédiatriques, un site recrute en général 3-4 patients alors que pour une étude sur le diabète on est plutôt à 7-10 patients par site, ça peut aller jusqu’à 50 patients par étude et par site pour les vaccins. Pour le reste, nous avons une vingtaine d’études dans notre pipeline et nous espérons monter jusqu’à une centaine assez rapidement. Soit 300-400 patients recrutés par an grâce à l’asbl ClinicoBru. »
Quand vous jetez un coup d'oeil sur le processus de création de l'asbl, qu'est-ce qui vous a semblé le plus délicat ?
Florence Bosco : « Faire atterrir le projet. Le projet initial consistait à créer une plateforme de recherche clinique regroupant les trois hôpitaux universitaires pour améliorer la compétitivité de la Région dans ce domaine. Il faut savoir que ces études cliniques sont un gros pourvoyeur d’emplois à Bruxelles mais, aussi, que les trois hôpitaux appartiennent à trois réseaux différents. Il n'était pas évident à priori de les réunir dans un projet de ce type d’autant qu’ils n’ont pas forcément l’habitude de travailler ensemble. Il fallait donc trouver ce que les hôpitaux étaient prêts à mettre en commun, montrer qu'il est possible de coopérer tout en continuant à fonctionner de manière indépendante par ailleurs.
Mais, pour les études cliniques, il est clair que les hôpitaux ont tout intérêt à collaborer, parce que ce sont des ressources très spécifiques et ça n'a pas beaucoup de sens que chacun développe sa petite activité dans son coin.
Une autre difficulté, c'était de trouver des cas pilotes, des cas concrets. Nous avons voulu en trouver très vite, très tôt dans le processus de développement de l'asbl, pour pouvoir paramétrer très vite le service que nous allions rendre aux médecins investigateurs et aux sociétés pharmaceutiques. »
Avez-vous pu bénéficier d'un accompagnement spécifique pour mener à bien la création de cette asbl ?
Florence Bosco : « On a dès le départ créé un « advisory board » accueillant notamment des représentants des sociétés pharmaceutiques parce que, finalement, ce sont eux les demandeurs et les payeurs ultimes. Ils se sont d'ailleurs très fort impliqués dans le développement de l'asbl et leurs conseils ont été aussi nombreux que précieux. Chaque fois qu'on développait un service ou qu'on gérait un cas-pilote, on sollicitait leur feedback, c'était vraiment important pour nous. Nous avons en outre bénéficié d'un accompagnement très précieux d'hub.brussels, qui nous a beaucoup aidé dans des domaines comme les conseils juridiques, le stratégie de communication mais également pour faire des ponts entre différents projets avec le réseau santé bruxellois Abrumed. »
Sur la base de votre expérience, si vous deviez donner un conseil à quelqu'un qui souhaiterait lancer une entreprise, que lui diriez-vous ?
Florence Bosco : « Quand on a une idée et qu'on veut développer un service, il faut le plus rapidement possible faire des « crash tests ». Se confronter directement avec les utilisateurs potentiels de ce service. Il faut éviter de développer le service dans son coin pendant des mois et des mois, surtout si le service en question n'implique pas de développement technologique particulier. »