C’est une idée lumineuse : utiliser les ressources de la technologie et les talents oratoires de quelques-uns pour mettre à la disposition de la communauté estudiantine une version audio de notes de cours parfois ardues, histoire de booster les capacités de mémorisation des étudiants. Encore fallait-il y penser. Antoine Cariat l’a fait. Un peu par hasard. Et il a créé Easyllabus.
Le jeune chef d’entreprise titulaire d’un master de l’ICHEC revient volontiers sur cette belle aventure qui a commencé à… Bologne. « J'y étais en Erasmus durant l’année académique 2016-2017, détaille-t-il. J’avais un délai très court pour étudier des centaines de pages. Il m’a semblé que si elles avaient existé sous format audio, j’aurais peut-être assimilé cette matière plus vite et en plus grande quantité. » Il passe donc de la théorie à la pratique, s’enregistre alors qu’il lit ses cours à haute voix, écoute les enregistrements chaque fois qu’il en a l’occasion, pendant ses séances de sport, ses courses ou ses balades en ville. Et réussit ses examens. CQFD.
Le coup de pouce du Start Lab de l’ICHEC
De retour à Bruxelles, le jeune homme passionné d’entrepreneuriat, persuadé qu’il tient une idée susceptible de séduire d’autres étudiants, intègre le Start Lab de l’ICHEC. Cet incubateur lui permet de tester son concept. Il poste les enregistrements qu’il a réalisés sur base de cours de l’ULB en psycho et en droit sur les groupes Facebook d'étudiants pour faire savoir que d’autres contenus audio sont disponibles sur Spotify. « Cela a directement fonctionné, se réjouit-il, avec des dizaines puis des centaines d’utilisateurs ravis de l’initiative. Incontestablement, il y avait un marché ! »
Il est en tout cas très probable qu’Easyllabus n’aurait jamais vu le jour, ou pas sous sa forme actuelle sans le soutien du Start Lab. « Je me suis jeté à l’eau un lundi, rappelle Antoine Cariat. J’étais hyper motivé mais cela ne m’a pas empêché d’éprouver une sorte d’angoisse de la page blanche. J’étais un peu perdu, ne sachant pas trop par où et quoi commencer. Grâce aux formations, au coaching et à l’environnement de travail qu’il propose, le Start Lab m’a permis de me recentrer. Il m’a été d’une grande aide. » Et c’est aussi au Start Lab qu’Antoine Cariat rencontre Julien Romain, un autre pensionnaire de l’incubateur, qui s’impliquera progressivement dans le développement d’Easyllabus jusqu’à rejoindre officiellement la structure en décembre 2021. Mais nous n’en sommes pas encore là…
Et le coup de boost de Digital Attraxion
En effet, endosser le costume de chef d’entreprise avant même d’avoir terminé son cursus n’est aisé ni matériellement ni psychologiquement. Comment ne pas comparer en effet sa situation à celle de ses amis qui entament une carrière prometteuse ? Comment ne pas souffrir de se retrouver pendant de longs mois sans rentrée financière malgré un travail acharné ? Heureusement, il y a eu pour Antoine Cariat, le salon Digital First à Tour & Taxis fin 2019 et la rencontre avec un représentant de Digital Attraxion, un accélérateur de startups qui accorde des financements d’amorçage de 25 à 100.000€. L’année 2020 commence sur les chapeaux de roue pour le jeune homme qui décroche son diplôme et crée sa société le 21 janvier, puis décroche un budget de 25.000€ auprès de Digital Attraxion. «C’est vraiment cela qui a fait pencher la balance du côté de l’entrepreneuriat, assure-t-il. À l’époque pour moi, 25.000€ était une somme énorme. Je me suis dit que moi qui suis passionné par l’entrepreneuriat, je n’avais rien à perdre et que cet argent allait me permettre de lancer la société et d’augmenter la production. » Depuis, Easyllabus a conclu un partenariat avec la société Subsiconseil qui l’aide à décrocher différents subsides, dont une aide substantielle de la Région bruxelloise pour le développement technologique.
Coup de frein inattendu
Mais la pandémie de covid-19 est venue jouer les trouble-fête. « Les débuts de la crise n’ont vraiment pas joué en notre faveur, observe Antoine Cariat. Les étudiants avaient perdu leur motivation. Ils ne savaient pas s’ils devraient passer leurs examens. » L’activité d’Easyllabus a pu reprendre après que le gouvernement ait annoncé que ce serait bien le cas, et la société a pu traverser cette période difficile sans trop de dommages. « Je dirais que la pandémie a eu sur nous un impact très très globalement positif, mais pas autant qu’on pourrait l’imaginer, indique-t-il. Pour les étudiants déjà contraints de passer quotidiennement de longues heures devant leur écran pour suivre les cours en distanciel, écouter en plus des podcasts dématérialisés constituait une vraie contrainte. En outre, si on est obligé de rester chez soi, on supprime des moments d’écoute lors des déplacements en transport en commun ou dans la rue, ou pendant qu’on fait du sport. En conclusion, cette crise a ouvert l’esprit des gens à l’étude dématérialisée de manière plus limitée qu’on pourrait le penser. »
Une formule éprouvée
Aujourd’hui, la formule d’Easyllabus est pérenne : « Dès le départ, je me suis orienté vers des cours littéraires ardus pour les étudiants, précise Antoine Cariat. Aborder les statistiques ou les mathématiques en formule audio serait trop compliquée. Nous produisons du contenu audio sur base de résumés ou notes de synthèses de cours dispensés dans différents établissements sans partnership, sans collaboration avec eux. Il s’agit de travaux comptant entre 50 et 100 pages rédigées par des étudiants. Nous avons par ailleurs recruté une dizaine d’étudiants ‘réciteurs’ capables de réciter un cours, de le faire vivre. Ils nous fournissent des fichiers prêts à l’emploi, plusieurs capsules de 15-25 minutes par cours, que nous mettons en ligne sur les plateformes de streaming telles que Spotify, SoundCloud ou Apple podcasts, et désormais sur notre application.»
Les priorités du moment
Antoine Cariat et Julien Romain travaillent actuellement à l’élargissement de leur communauté et à l’accroissement de la fréquentation de leur plateforme. Sans perdre de vue évidemment la rentabilité de leur initiative. « Même si l’argent n’est pas notre priorité actuelle, nous avons évidemment un business modèle, indique Antoine Cariat. Comme la plupart des plateformes, nous nous rémunérons via des insertions publicitaires diffusées au début, à la fin, au milieu ou aux trois positions pendant le podcast. Ceux qui veulent échapper à ces publicités et avoir accès à d’autres fonctionnalités peuvent s’abonner au tarif de 3,99€ par mois ou 40€ par an. Nous comptons actuellement plus de 45.000 utilisateurs inscrits dont pas mal d’utilisateurs payants. »
Le partage des savoirs
Les deux associés sont bien décidés à ne pas se reposer sur leurs lauriers comme le prouve leur récente levée de fonds soutenue entre autres par Finance&invest Brussels pour laquelle ils ont déterminé des objectifs très précis. Ils citent en premier l’extension de l’utilisation de l’app à un beaucoup plus large public. « Nous pensons que le savoir est dans la tête de n’importe quelle personne, détaille Antoine Cariat. Nous voudrions donc ouvrir notre application à n’importe quelle personne compétente pour qu’elle puisse y expliquer avec ses mots un concept, un chapitre, un cours, le vulgariser et le publier sur la plateforme. Nous voulons instaurer le partage des savoirs avec une ouverture de la plateforme au monde entier et bien sûr avec un dispositif de modération pour que le contenu reste de qualité et qu’il soit validé par la communauté. »
Ils louchent aussi sur le marché français. « En Belgique francophone, l’enseignement supérieur compte +/- 300.000 étudiants tandis qu’il y en a plus de 2.600.000 en France, précise Antoine Caria. C’est de ce fait un marché très intéressant quoiqu’un peu différent. L’enseignement supérieur y est beaucoup plus fractionné et les mentalités y sont un peu différentes. L’étudiant français est certes un peu plus extraverti, mais aussi plus individualiste… »
Bref, il reste du pain sur la planche pour les deux associés et tous les intervenants qui les épaulent.
Interview : Catherine Aerts